SPORT & NAZISME


Posté le 23.01.2017 à 11H


 

C’est parce qu’elle revendique l’exception que l’idéologie nazie appelle, d’entrée de jeu, la ségrégation. Celle des idées comme celle des corps. Ordre, discipline, grandeur : aux yeux des nervis du IIIe Reich, le sport ne fut d’abord qu’un simple agent recruteur, au mieux préoccupé d’hygiénisme et d’esthétisme. Leur mot d’ordre était abstrait et primaire. Rattrapé par la réalité – une crise économique endémique, une situation sociale explosive – ils négligèrent petit à petit la promotion d’un athlète apollinien simplement décoratif pour lui préférer un champion autrement concurrentiel. C’est à ce dernier – et sa métaphore – que reviendrait la charge d’encourager les priorités de l’heure : la ré-industrialisation nationale, la conquête de nouveaux espaces, la poursuite d’une surenchère chaque jour plus radicale.

 

D’abord rétif, lui-même peu fier de son physique (il ne savait ni nager, ni conduire, à peine monter à cheval), Adolf Hitler se rangea finalement aux arguments de Joseph Goebbels, son ministre de la propagande, pressé de voir le sport ornemental devenir utile. Même l’organisation des Jeux de 1936, entérinée cinq ans plus tôt, avant même leur accession au pouvoir, devint une priorité. Comment imaginer plus belle caisse de résonance pour exalter un dynamisme (enfin) retrouvé ? Champion d’exception et ouvrier modèle confondirent bientôt leurs destins.

Pour accréditer ce changement de cap, le sport allemand fut réorganisé et épuré dans les grandes largeurs. Par-dessus tout, il importerait de se démarquer du point de vue anglo-américain qui ne considérait alors les activités physiques que comme un banal dérivatif. Du côté de Berlin, le sport cessera soudain d’être un jeu. Bien plutôt un enjeu. En l’espace de quelques semaines, les pilotes automobiles devinrent des instruments de progrès et les alpinistes des agents expansionnistes. Ici, il convenait d’accélérer les gains de productivité, là, de gagner de nouveaux territoires.

Un Reichssportführer, Hans Tschammer und Osten, et un ministère à la botte furent chargés de faire monter en neige une recette supposée infaillible. Toujours plus vite, plus haut, plus fort. Pour les boxeurs, footballeurs, tennismen et athlètes de toute sorte. Mais aussi pour ceux qui les admireraient et, par la force de l’exemple, les imiteraient. Les Jeux d’hiver de Garmisch, en février 1936, serviraient de répétition générale. Et ceux d’été de Berlin, en août, confineraient à l’apothéose.

Dans tous les domaines du sport (techniques, scientifiques, médiatiques), les Nazis innovèrent et progressèrent. Quelques voix s’élevèrent. Il fut vaguement question de boycott. Deux ou trois juifs furent pris en otage. Mais nul ne parvint à contrarier une activité devenue essentielle qui, désormais, marchait au pas. Sauf que les commanditaires de la fable négligèrent un des ressorts fondamental du sport : son aléatoire !

L’histoire ne ment pas. Malgré leurs efforts et leurs soutiens, tous les champions prémédités du nazisme triomphant (les Schmelling, von Cramm, Rosemeyer, Long, Udet et tant d’autres), faillirent et échouèrent lamentablement. Battus, ridiculisés, accidentés, tués avant l’heure, comme autant de messagers funestes et prémonitoires d’un avenir plus cataclysmique encore. Preuve que s’il est toujours possible d’imaginer une mise en scène, il est beaucoup plus problématique de programmer un résultat.

 

Benoît Heimermann

 


 

Les Champions d'Hitler de Benoît Heimermann et Jean-Christophe Rosé (2016)
Samedi 28 janvier à 10h45, en leur présence

Les Dieux du stadede Leni Riefensthal (1938)
Samedi 28 janvier à 14h45
Avant-première mondiale de la copie restaurée en présence de Francis Gabet (CIO), Benoît Heimermann et Thierry Frémaux