Je la connaissais bien" />

Week-end à Rome
Tout sur les "tubes" de Je la connaissais bien


Posté le 28.10.2016 à 11H


 

A l'état de projet, le film d'Antonio Pietrangeli s'est longtemps appelé Le Tourne-disques. Preuve que le cinéaste et son duo habituel de scénaristes (Ruggero Maccari et Ettore Scola, les pères de la "comédie à l'italienne") savaient précisément de quoi ils voulaient parler : des 45 tours de variété italienne qui tournent en boucle, inlassablement, écoutés par une héroïne qui fait à peu près la même chose qu'eux...


Je la connaissais bien
(1965) est l'aboutissement du travail du cinéaste sur la femme italienne de l'après-guerre, pour parler comme un sociologue. Ancien critique d'obédience marxiste, défenseur acharné du néo-réalisme, Pietrangeli avait décidé de consacrer une bonne de partie de son art à celles que le "boom" économique déracinait : ces jeunes femmes qui quittaient les campagnes, en voie de désertification, pour être happées par le miroir aux alouettes de la grande ville et de la société de consommation. Plus authentiques que les héroïnes "bimbo" des comédies populaires...

Dans Je la connaissais bien, Adriana, jouée par une juvénile Stefania Sandrelli, rêve de devenir actrice, ou chanteuse, ou mannequin - ou les trois. En attendant que ça ne se produise pas, elle écoute des chansons, dont les textes modèlent, plutôt pour le pire, son imaginaire amoureux. Les succès de la variété transalpine de l'époque donnent le rythme et le ton du film, l'humeur du personnage - qui danse ou rêve ou se fait draguer. Voici quelques perles d'une bande originale à réécouter chez soi...

 



1/ Lasciati baciare col letkiss, par les soeurs Kessler

Adriana écoute cette scie, summum de "l'euro-hit" transnational : le "letkiss" est à l'origine une danse finlandaise, remise au goût du jour au Nord de l'Europe pour contrer le succès du rock... Transformée en tube à double sens ("let kiss" - "laisser embrasser"), la mélodie devient au milieu des années 60 une danse éphémère, quelque part entre twist et hully-gully. Chaque pays a sa version : la déclinaison italienne est chantée (et dansée) par des jumelles allemandes, Alice et Ellen Kessler. Divertissant ou ringard, chant de joie ou marche funèbre, chacun tranchera.

 



2/ Mani Bucate, par Sergio Endrigo

Antonio Pietrangeli a l'art de rendre poreuses les frontières entre comédie, réalisme amer et cinéma d'auteur. De son appartement de banlieue, loin au-dessus du Tibre, son héroïne contemple la ville tandis que la chanson de Sergio Endrigo devient son hymne mélancolique : "mani bucate", ces "mains trouées" par lesquelles le bonheur, la vie se sont échappés. Moment de solitude, d'incommunicabilité avec le monde, qui évoque le cinéma, contemporain, d'Antonioni.

 



3/ Eclisse twist, par Mina

Antonioni ? Tiens, le voilà en mots et en musique. Dans la B.O. de Je la connaissais bien, un extrait du twist de L'Eclipse, musique de Giovanni Fusco, le complice habituel du cinéaste, paroles - sur le péril atomique, notamment - d'Antonioni lui-même, sous le pseudo d'Ammonio. Le tout chanté par Mina, grande dame de la varièt' italienne. Ainsi le film de Pietrangeli est-il clairement "antonionien". Ou, tout simplement, le cinéaste intello de Ferrare est-il plus proche qu'on ne le pense de la pop culture ambiante...

Pour le plaisir, le morceau en vf...

 



4/ Toi, par Gilbert Bécaud

Donc Bécaud le toulonnais chanta en italien, en prenant soin de bien prononcer ces "r" roulés, cette chanson dont le texte français est curieusement amer - un homme remarque une femme qui le néglige et rit aux paroles d'un autre... Comme avec le tube de Sergio Endrigo cité plus haut, le titre, entendu quasiment en entier, résonne avec la solitude d'Adriana, cette frontière infranchissable, malgré ses efforts, entre le monde et elle. Dans Je la connaissais bien, les chansons ont parfois des allures de voix off, de choeur commentant l'action. Bécaud a le beau rôle !

 

Adrien Dufourquet

 


 

Je la connaissais bien
Jeudi 3 novembre à 21h et vendredi 4 novembre à 19h.