CINÉASTE AU PORTRAIT
La confession cachée de Fritz Lang


Posté le 13.12.2016 à 11H


 

« Dites à Fritz combien je l’aime encore. » Il paraît que Fritz Lang, quelques mois avant sa mort, fut touché du petit mot – un télégramme, un câble, comme on disait alors ? – que la belle Joan Bennett lui envoya. Les quatre films où le cinéaste dirigea l’actrice forment en effet un drôle de carré d’as : avec en son cœur le drôle de diptyque constitué de La Femme au portrait (1944) et La Rue rouge (1946), et en postface le très freudien Secret derrière la porte (1948) – un chef-d’œuvre. Dans ces films, sous les traits d’Edward G. Robinson puis de Michael Redgrave, il n’est pas exclu qu’au contact de cette actrice qu’il aima, plus ou moins secrètement, Fritz Lang se dépeigne lui-même, parfois forçant l’auto-caricature, par cette sorte d’aigreur qui pouvait, parfois, l’envahir.

Peut-être se complaît-il à se décrire en peintre du dimanche, incompris par une épouse acariâtre, mais dont les toiles, exprimant le monde non comme il est mais comme il le voit finiront par attirer l’attention de la critique… Il y aurait à faire une étude plus précise sur ce que le film dit de la création – une expression personnelle et non pas la reproduction de la réalité – et de la compétence de ceux qui en établissent la valeur : si le critique d’art reconnaît la valeur des tableaux peints par Edward G. Robinson, il les attribue quand même, à tort, à Joan Bennett. Un peu comme si La Joconde était attribuée à… Mona Lisa. Qui est l’auteur d’un film ? Qu’est-ce qu’un auteur ? Lang met le doigt sur un débat qui agitera les cinéphiles des décennies à venir…

 

 

Si Fritz Lang est presque tout entier dans La Rue rouge, c’est aussi surtout ! – perceptible dans la séquence ci-dessus, une discussion sur la culpabilité qu’on pourrait ajouter en note de bas d’image à la plupart de ses films… Chez Lang, tout homme est un criminel en puissance, et le crime est étroitement associé au sexe – le pic à glace d’Edward G. Robinson dans La Rue rouge est hautement phallique. Ses films sont pleins de présumés coupables et de faux innocents, tous également poursuivis par la justice, une justice officielle ou expéditive (M le maudit) ou intérieure… Souvent, il n’y a pire faute que celle qu’on croit avoir commise…

Cette idée de la culpabilité permanente – que l’on soit accusé à tort ou à raison naît peut-être du grand flou dans la biographie du cinéaste : la mort – meurtre ou suicide – de sa première femme. C’est l’historien Patrick McGilligan, dans sa biographie Fritz Lang : the nature of the beast, qui soulève pour la première fois la question – et croit à la culpabilité du cinéaste. Lang a épousé la discrète Lisa Rosenthal en 1919. Deux ans plus tard, celle-ci surprend son mari dans les bras de Thea Von Harbou, devenue un peu plus que sa scénariste et collaboratrice. On la retrouve morte, tuée d’une balle de revolver, le revolver de Lang, dans son bain… L’idée la plus communément admise aujourd’hui est que Lang et Von Harbou ont entendu le coup de feu, qu’ils ont su que la jeune femme était en train de mourir et qu’ils ont sciemment tardé pour appeler les secours. Ensuite, Lang se sentira pour toujours un homme traqué – si ce n’est pas la police, par sa conscience…

 

Adrien Dufourquet

 


La Rue Rouge de Fritz Lang (1945)
Mercredi 14 décembre à 18h45, en présence d'Antoine Sire