Monsieur ici


Posté le 22.09.2016 à 17H


Cinéphile écouté, promoteur improvisé, Pierre Rissient est ce qu'il convient d'appeler un homme de l'ombre. Y compris quand, à l'Institut Lumière ou ailleurs, il se glisse en silence parmi les spectateurs, observateur marmoréen qui n'en pense pas moins. Hier soir, une semaine après la parution de son livre d'entrentiens avec Samuel Blumenfeld, Mister Everywhere (Actes Sud), il fut pendant quelques heures bien méritées dans la lumière.

 

 

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Le chef opérateur Pierre William Glen, le documentariste Nicolas Philibert, le journaliste Pierre Sorgue... Ils étaient quelques-uns, ce mercredi 21 septembre, venus dire par leur présence le respect que leur inspire Pierre Rissient. Il faut dire que l'homme n'est pas n'importe qui. Ou plutôt si, justement. Pierre Rissient est un cinéphile comme il en existe des milliers. À ceci près que, ainsi que le dira Samuel Blumenfeld au terme d'un petit éloge riche en révélations made in Rissient (de la tension sexuelle inhérente à la filmographie de Fritz Lang à l'influence de la crise de 29 sur le cinéma de Clint Eastwood), "son regard n'appartient qu'à lui". Et qu'il a su, avec un mélange de naïveté et d'abnégation, le mettre au service de réalisateurs qui, sans lui, seraient sans doute restés de complets anonymes. Un coup en tant que producteur, un autre comme attaché de presse, programmateur ou script doctor officieux, entre autres casquettes portées par le bonhomme ces soixante dernières années – sans compter celles, non métaphoriques cette fois, qu'il collectionne et arbore par tous les temps :

"Je n'ai pas cherché à me disperser. Mais il est vrai qu'à un certain moment, j'ai compris que cela me permettait d'avoir une perspective sur des domaines très divers. On m'accorde la capacité de savoir bien lire un script, de savoir bien regarder les rôles... Mon expérience d'attaché de presse, telle que je l'ai vécue, me permettait de réfléchir à la direction d'un film, à la façon de l'améliorer... D'un autre côté, si je vois un film, ça ne me suffit pas de l'aimer, je veux qu'il soit connu. De fait, un jour j'étais happé (je crois que c'est le mot) par ceci, un autre par cela. Et je pense que cette dispersion me révèle sur un plan personnel. Cette disperson, c'est moi."

 

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Cette dispersion, elle est évidemment au coeur de Mister Everywhere, le livre d'entretiens qu'il vient de publier avec la complicité dudit Blumenfeld (et qu'ils ont dédicacé à tour de bras)... mais sur lequel il planchait par intermittence depuis près de deux décennies :

"Le projet a été initié par un ami malheureusement décédé qui s'appelait Guy Teisseire. Il m'a dit : "Tu connais tellement de gens, tu sais tellement de choses, il ne faut pas que ce soit perdu." Je n'y avais pas pensé. Le livre a ensuite été repris par un autre ami, sans doute mon plus proche, Marc Bernard, qui a lui été victime de la maladie de Parkinson et n'a pas pu retranscrire. Il est resté en jachère jusqu'à ce que Samuel Blumenfeld le reprenne en mains. Avec les années écoulées, il y avait évidemment plus à raconter."

Plus de coups de coeur : pour les parias du maccarthysme, les pionniers asiatiques (de King Hu à Im Kwon-Taek), de futurs palmés (Schatzberg, Kiarostami, Campion)... Plus de rencontres, avec Raoul Walsh, John Ford, Warren Beatty, Otto Preminger ou encore Quentin Tarantino. Plus de mésaventures aussi, courtoisie de metteurs en scène "qui prenaient toutes les mauvaises décisions, par pure bêtise". Tellement que cette première mouture n'y a pas suffi Pierre Rissient regrette notamment la disparition d'un passage sur une interprétation du comédien de théâtre Michel Vitold, "d'un tel feu qu'il devenait l'auteur de la pièce". Pas plus que Gentleman Rissient, le "modeste documentaire" de Benoît Jacquot, Guy Seligmann et Pascal Mérigeau, comme  le qualifie ce-dernier. Diffusé en début de soirée, il voit le complice de jeunesse de Bertrand Tavernier se raconter à travers quelques réalisateurs qui l'ont marqué, du maître japonais Kenji Mizoguchi à son protégé philippin Lino Brocka. Manquent tout de même à l'appel Tourneur et son "cinéma de la totalité" ou Lubitsch et "son intimité avec les personnages secondaires". Mais pas Ida Lupino :

"Si je ne devais retenir qu'un film, sentimentalement, ce serait Avant de t'aimer de Ida Lupino. Peut-être parce que c'est une femme. Je l'aimais aussi beaucoup comme actrice, elle exprimait la même vulnérabilité que dans ses mises en scène. Heureusement qu'elle avait vingt ans de plus que moi, sinon je serais tombé amoureux d'elle, et si ça n'avait pas marché, j'aurais été profondément malheureux."

Pour l'heure, Pierre Rissient est un homme satisfait mais qui, fidèle au perfectionnisme et à la curiosité qui l'ont amené à tutoyer les plus grands, voit déjà plus loin : "C'est un livre du passé, mais j'espère qu'il est vivant. En tout cas il n'est pas poseur. J'espère aussi qu'il aura un petit succès. Pas pour moi, mais pour les idées qu'il défend. Peut-être alors que je pourrai ajouter quelques choses que j'aurais aimé compléter, dans un autre livre ou dans une édition plus complète."

 

 

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Crédit photo : Jean-Luc Mege