ENRICO MEDIOLI
(Parme, 17 mars 1925 – Orvieto, 21 avril 2017)
par Laurence Schifano


Posté le 23.08.2016 à 11H36


 

Spécialiste du cinéma italien et plus particulièrement de l'œuvre de Luchino Visconti, Laurence Schifano rend hommage au scénariste dont il fut le plus proche.

 

ENRICO MEDIOLI

 

Avec Enrico Medioli vient de disparaître un des protagonistes les plus actifs et les plus brillants du grand cinéma italien. De ce scénariste méticuleux, raffiné et discret, on sait le lien privilégié qu’il eut avec Luchino Visconti, pour la scène et pour l’écran ; dès 1958, il fut son assistant sur de grandes mises en scène d’opéra (le premier Don Carlo pour le Covent Garden, le Macbeth de Spolète, le Duc d’Albe du Teatro Nuovo de Rome en 1959) ; puis il s’impose, aux côtés de Suso Cecchi D’Amico, comme son second scénariste attitré, de Rocco et ses frères (1960) à L’Innocent (1976). Une complémentarité s’instaure entre ces deux figures, Visconti faisant appel à Enrico Medioli pour les Damnés comme pour Ludwig et se reposant davantage sur Suso Cecchi D’Amico pour le versant proustien de son travail.

La récente adaptation à la scène par Ivo van Hove  du scénario des Damnés (qui valut au film en 1970 la reconnaissance hollywoodienne d’une nomination à l’Oscar du meilleur scénario original), permet de mieux identifier un des apports spécifiques de Medioli : l’ouverture d’une veine violemment transgressive, en accord avec le début des années de plomb et l’impulsion d’un cinéma d’alerte, qui trouvera, dans la hantise d’un retour insidieux aux formes monstrueuses du nazi-fascisme des prolongements chez Pasolini (Salò ou les 120 journées de Sodome), Bernardo Bertolucci (Novecento), Liliana Cavani (Portier de nuit).

Rocco Et Ses FreresSi le rôle de Medioli a sans doute été déterminant dans le choix de réaliser Ludwig et, à la stupéfaction générale, de repousser sine die l’adaptation de la Recherche proustienne, il est aussi, en juillet 1972, l’auteur à part entière du sujet original et du scénario de Violence et passion (Gruppo di famiglia in un interno), film qui est à la fois le requiem d’une société en décomposition et la dénonciation d’un fascisme renaissant. Ce huis clos politique permit à Visconti, resté à demi paralysé à la suite d’une attaque cérébrale en juillet 1972, d’ajouter à sa filmographie un avant-dernier film en prise directe sur l’actualité sanglante du terrorisme et de la "stratégie de la tension" en Allemagne et en Italie.

Le travail de Medioli pour le cinéma et la télévision, ininterrompu jusqu’en 2011, se signale aussi par les affinités littéraires qui l’ont lié à des metteurs en scène et amis aussi divers qu’Alberto Lattuada, (Lettres d’une novice, co-écrit avec Roger Vailland, 1960), Mauro Bolognini (La storia vera della signora delle camelie, 1981, La Chartreuse de Parme, Les Indifférents, 1988, La Famille Ricordi 1993), Sergio Leone (qui lui doit certaines références proustiennes dans Il était une fois l’Amérique, 1984), Liliana Cavani (Oltre la porta, 1982) et Valerio Zurlini (La Fille à la valise, 1961, Le Professeur, 1972) avec lequel il entretint des rapports de grande proximité.

D’autres pans de son activité restent encore méconnus et traduisent l’étendue d’une palette à la fois littéraire, théâtrale, opératique, et de registres qui vont du tragique au burlesque : pendant le tournage du Guépard, il écrit avec Filippo Sanjust et Visconti le livret exubérant et brillantissime du Diable dans le jardin, divertissement d’opéra qui brode sur l’histoire du Collier de la Reine et met en scène une foule incroyable de personnages historiques. Le goût d’une écriture scénique libre d’académisme et de moralisme s’exprime aussi à travers des farces en costumes peu connues, qui adoptent les formes débridées de la comédie musicale, du cabaret, du vaudeville, du burlesque pour la scène (Lina e il cavaliere, Vittorio Caprioli, 1958) et pour l’écran (Splendori e miserie di Madame Royale, V. Caprioli, 1970,  Il petomane de Pasquale Festa Campanile, 1983).  

Il Etait Une Fois En AmeriqueNé à Parme le 17 mars 1925, dernier né d’une famille catholique et bourgeoise, Enrico Medioli a dit l’importance capitale qu’a eue pour lui, dans la Parme provinciale de son adolescence, l’enseignement anti-conformiste et anti-fasciste du poète Attilio Bertoluci, futur père de Bernardo et Giuseppe Bertolucci, et futur ami de Pasolini : ses cours d’histoire de l’art et de littérature sont alors émaillés de références à Joan Crawford, à Marlène Dietrich, à Charlie Chaplin et surtout – lecture capitale et quasi clandestine pour Enrico Medioli  Marcel Proust.

Cet horizon culturel s’élargit davantage lors des deux années (1948-1950) qu’il est contraint de passer à Davos, dans le cadre cosmopolite et ouvert du Waldsanatorium (celui de La Montagne magique de Thomas Mann). Renonçant à une carrière d’architecte toute tracée, Enrico Medioli trouve vraiment sa voie lorsqu’il s’installe à Rome en 1950 et commence de fréquenter les milieux du cinéma pour lesquels il ne cessera plus de travailler.

 

 


 

 

Quelques dates :

 

17 mars 1925 Naissance à Parme d’Enrico Medioli, dans une famille d’entrepreneurs et d’architectes.

1925-1945 Il est le témoin de la montée du fascisme mussolinien, de l’instauration en 1938 des lois raciales, puis des actions du nazi-fascisme contre les Résistants.

1945-1950 Il commence à Milan des études d’architecture que la tuberculose le contraint à interrompre. Il passe deux ans, de 1948 à 1950, au Wald Sanatorium de Davos. 

1950-1960 Il s’installe à Rome et travaille à des traductions de l’anglais pour des doublages et des scénarios. Au début des années 1950, il rencontre L. Visconti dont il devient l’assistant pour la mise en scène du Don Carlo de Verdi (Covent Garden, mai 1958), du Macbeth de Verdi (Spolète, juin 1958) et du  Duc d’Albe de Donizetti (Spolète, juin 1959). Il met lui-même en scène La Somnambule de Bellini au Covent Garden de Londres en 1960. Il est dans le même temps associé à l’écriture de Rocco et ses frères qui marque le début d’une collaboration quasi ininterrompue jusqu’à la disparition de Visconti le 17 mars 1976. Il collabore également au scénario de La Fille à la valise de Valerio Zurlini, situé à Parme.

1961-1965 Medioli travaille avec Suso Cecchi D’amico, Pasquale Festa Campanile, Massimo Franciosa et Visconti au scénario du Guépard. Pendant le tournage du film, il  co-écrit avec Visconti et Filippo Sanjust Le Diable dans le jardin (opéra représenté une seule fois au Teatro Massimo de Palerme, le 28 février 1963). Il retrouve ensuite Suso Cecchi D’Amico et Visconti pour écrire les versions successives de Sandra (Vaghe stelle dell’Orsa, Lion d’or de Venise en 1965).

1966-1984 Après avoir co-écrit en français avec E. Siciliano, F.A. Burguet et  F. Leterrier, sur un découpage de Visconti, un premier synopsis d’À la recherche du temps perdu, il donne forme au scénario des Damnés en collaboration avec Nicola Badalucco et Visconti. En 1971, il travaille à la fois au Ludwig et au Professeur (L’ultima notte di quiete) de Zurlini. Visconti étant resté paralysé après une attaque cérébrale en juillet 1972, il rédige un sujet sur mesure, en huis clos, et le scénario de Violence et passion (Gruppo di famiglia in un interno). La santé de Visconti se détériorant, la dernière collaboration sera le scénario de L’Innocent, d’après le roman de G. D’Annunzio, en collaboration avec Suso Cecchi D’Amico.  

1982-2008 E. Medioli écrit avec son amie la réalisatrice Liliani Cavani le scénario de Oltre la porta (1982), Sergio Leone fait appel à lui pour Il était une fois l’Amérique (1984) dont l’écriture (à 6 scénaristes) est interminable. Le travail pour La Dame auxcamélias en 1981 marque le début d’une collaboration féconde avec Mauro Bolognini et inaugure une longue série de scénarios écrits pour la télévision : des adaptations ou des films biographiques, d’empreinte littéraire. Entre autres : La Chartreuse de Parme (M. Bolognini, 1982) ; La Belle Otero (Jose Maria Sanchez, 1984), Les Indifférents (Bolognini, 1988), Les Fiancés (I promessi sposi, Salvatore Nocita, 1989), Casa Ricordi (Bolognini, 1994), Anna Karenine (Il grande fuoco, Fabrizio Costa, 1995) ; Michel Strogoff (Fabrizio Costa, 1999), Les Hauts de Hurlevent (Fabrizio Costa, Cime tempestuose, 2004), Guerre et paix (Robert Bornhelm, 2007), Coco Chanel (Christian Duguay, 2008).

2015 Francesca Medioli, nièce d’Enrico, publie avec R. Mancini Il costruttore di immagini. Enrico Medioli sceneggiatore, aux éditions aska de Florence.

 

Les Damnes Ivo Van Hov

 

2016 La mise en scène du scénario des Damnés par Ivo van Hove ouvre la 70ème édition du Festival d’Avignon et entre au répertoire de la Comédie française.

21 avril 2017  Enrico Medioli meurt chez lui, à Orvieto.

 


 

Rétrospective Claudia Cardinale - Conférence de Laurence Schifano
Lundi 15 mai à 19h
Suivie de Sandra de Luchino Visconti