« SHOW ME THE MONEY »
De l’influence de Billy Wilder sur Jerry Maguire


Posté le 16.12.2016 à 15h


 

La scène frappe qui a vécu une expérience similaire – et sans doute tous les "cols blancs" sont-ils condamnés à la vivre un jour… Jerry Maguire, membre fondateur d’une célèbre agence de management sportif, agent convoité de joueurs de base-ball ou de football américain non moins convoités, vient d’être viré comme un malpropre. Lors d’une nuit d’insomnie, il a imaginé changer les règles de son job, revenir à plus de mesure, de bon sens, de vertu. Mal lui en a pris, le couperet est tombé.

 

JERRY MAGUIRE 1996 04

 

Tom Cruise, puisque c’est lui, fait ses cartons, quitte son bureau. C’est l’épreuve redoutée par tout réprouvé : la traversée de l’open space. Tout le monde se fige sur son passage. Rester digne. Prendre ou non la parole. Voilà qu’il s’exprime, lance un « Qui m’aime me suive » ou équivalent. Pas un murmure. Si, une voix féminine s’élève, la petite blonde de la compta, qui rêve, elle aussi, d’une autre façon de bosser, est prête à le suivre. Ils sont deux. Ils sortent la tête haute. Instantanément la vie du bureau, comme une ruche, reprend. C’est comme s’ils n’avaient jamais existé.

Sous prétexte qu’il y a en vedettes un agent de sportifs (Tom Cruise, donc) et un sportif professionnel (l’excellent Cuba Gooding Jr et son « Show me the money » qui lui valut un Oscar), surtout ne pas réserver Jerry Maguire aux seuls amateurs de sport : c’est aussi une comédie romantique et une comédie du remariage et un drame du déclassement et un (court) suspense médical, bref un film qui cumule les émotions, à l’image de ce que truc que parfois l’art imite, comment l’appelle-t-on déjà ? Ah oui, la vie.

Déjà auteur de deux films, dont le remarqué Singles, scénariste d’un film pour ados presque culte, Fast Times at Ridgemont High, Cameron Crowe a 38 ans en 1995. Il cherche pour son prochain projet les recettes des « grands raconteurs d’histoire, des génies du personnage » du cinéma d’antan. Il se gave alors de VHS d’Ernst Lubitsch, Preston Sturges, Howard Hawks, Jean Renoir et François Truffaut. Et de Billy Wilder. Ce dernier s’impose à ses yeux comme « le plus grand de tous, le scénariste le plus moderne. »

Il ajoute :  « J’aime tous ses films pour des raisons différentes, mais celui qui m’a le plus touché reste La Garçonnière (1960). Je n’avais jamais été un si grand fan de Jack Lemmon, mais il y a quelque chose de spécial dans ce portrait cruel, touchant et drôle d’un simple employé des années 60, et de son histoire d’amour douce-amère avec la « conductrice d’ascenseur ». Je ne vais pas vous mentir : taper le titre de ce film suffit à me donner des frissons. C’est ce film qui m’a inspiré pour commencer à écrire mon propre portrait du cadre d’aujourd’hui, le type sans visage qui met tous les jours son costume et sa cravate : Jerry Maguire. » Une grande scène, touchante et juste, dans un bureau en open space ? Comment ne pas avoir pensé à La Garçonnière et au fabuleux décor d’Alexandre Trauner ? Shirley MacLaine devient Renee Zellweger, et tout s’éclaire !

 

Garconniere

 

Cameron Crowe avait même proposé un rôle à Billy Wilder – celui du mentor de Jerry Maguire, Dicky Fox, prolixe en conseils hors d’âge . « Je ne suis pas acteur. Je ne le ferai pas » avait rétorqué le réalisateur de Certains l’aiment chaud, 89 ans lors de leur première rencontre. « C’est un tout petit rôle… » avait insisté Crowe. « Raison de plus pour ne pas le faire… » Crowe était revenu à la charge accompagné de Tom Cruise, et Wilder s’était ostensiblement plus intéressé à la star qu’au cinéaste…

Plus tard, ces anecdotes finirent dans un "journal de tournage" publié par le magazine Rolling Stone en 1997 (d’où sont tirées les citations utilisées plus haut). Et Billy Wilder, convaincu, accepta que Crowe le rencontre à nouveau pour un livre baptisé (logiquement) Conversations avec Billy Wilder (Institut Lumière / Actes Sud). Ouvrant la porte de son bureau, après que Jerry Maguire eut remporté pas mal de nominations à l’Oscar, Wilder fut égal à lui-même : « Vous avez l’air plus grand. C’est le succès ? »

 

 

Adrien Dufourquet

 

 


Jerry Maguire de Cameron Crowe (1996)
Dimanche 18 décembre à 19h et mardi 20 à 21h