Agnès de 7 à 9


Posté le 28.09.2016 à 11H


 

Agnès Varda a 88 ans. Survivante d'une Nouvelle Vague qu'elle a préféré regarder de la plage, elle n'aime pas qu'on le lui rappelle trop souvent. Mais comment faire autrement ? Comment ne pas céder sous le poids des chiffres face à la longévité de la capacité d'émerveillement de ce coquet petit bout de femme (pour un tatouage, un ris de veau, un cliché Instagram) ? Entre deux sessions de tournage avec le "muraliste" JR, elle était ce mardi à Lyon le temps d'un marathon qui l'aura vu trottiner de la Galerie cinéma photo de l'Institut Lumière au CNP Terreaux en passant, évidemment, par l'Institut lui-même. Inoubliable.

 

AgnesVardaHangar

 

Depuis plus de cinq décennies, dans ses fictions à hauteur d'homme (à l'instar de Sans toi ni loi, qu'elle a raconté au CNP Terreaux) comme dans ses documentaires au plus près de l'autre (tel le visionnaire Les Glâneurs et la glâneuse, qu'elle a présenté à l'Institut Lumière), Agnès Varda s'évertue de répondre à une question : "Qu'est-ce que les gens qu'on ne connaît pas ont à nous apprendre ?" Depuis peu, une autre voix des sans voix s'est jointe à elle dans cette démarche, le photographe JR, avec lequel elle prépare un documentaire pour 2017. Leur objectif : repeupler des villages déserts, en tapissant leurs murs de ces visages anonymes géants dont le street artist a fait sa marque de fabrique, et conserver la trace de ces "flambées de moments de bonheur éphémère". Le projet, surgi comme une évidence suite à la première rencontre, avance à raison de trois jours de tournage par mois. Car Agnès aime prendre son temps. Une manière de "rester honnête par rapport à son goût", à son envie simple d'apprendre et de s'amuser.

 

AgnesVardaGalerie

 

Deux aspirations dont les trois sections de l'exposition qu'elle a spécialement conçue pour la Galerie photo cinéma de l'Institut Lumière témoignent chacune à leur manière. La première rassemble des portraits de personnalités du cinéma. On y découvre un jeune Harrison Ford hilare, un Fellini sobrement espiègle parmi les vestiges d'une foire, Luchino Visconti en son domaine en parrain statuaire... Autant de stars que celle qui fut la compagne de Jacques Demy (dont elle a supervisé les restaurations) a su saisir dans leur for intérieur, "à une époque où la promotion était une rencontre". La seconde capte, au Portugal, dans un camp de gitans ou en Chine, des passants en train de marcher, acte universel qu'Agnès Varda réduit à une pure expression. La dernière est la plus emblématique de son obsession formelle, ainsi qu'elle l'expliquera le soir venu :

"J'aime questionner le passage de l'immobile au mouvement, du concept au récit, du scénario à la contemplation."

En l'occurrence, via des photogrammes de la terrible scène des paillasses de Sans toi ni loi où Sandrine Bonnaire, alors jeune comédienne dont la réalisatrice avoue qu'elle a eu la chance qu'elle soit si naturellement sauvage, semble prisonnière de la matière d'une toile de Francis Bacon.

 

VardaSignature

 

Le reste de sa discussion avec Thierry Frémaux, entrecoupée d'une séance de dédicaces herculéenne et au cours de laquelle on aura notamment appris son admiration pour Arnaud Desplechins, Céline Sciamma et Alain Guiraudie, a tout d'une leçon d'humilité - même si, consciente de son aura de pionnière, elle reconnaîtra avoir mis la barre très haut pour les femmes cinéastes de sa génération. Il faut voir comme elle se ratatine quand les applaudissements s'éternisent. Il faut l'entendre avouer que les acteurs l'intimident (elle qui a tourné avec Catherine Deneuve, Jane Birkin et Michel Piccoli). Il faut goûter comme elle prend ses distances avec la Nouvelle Vague, cette bande qu'elle a précédée mais dont elle ne connaissait au fond personne. Il faut surtout se souvenir de cette phrase, qui résume à elle seule la vivacité d'esprit et la génoristé de cette grande petite dame :

"Le documentaire est une école de la modestie. Mais aussi honnête qu'on soit, on finit toujours par profiter des autres."


Crédit photos : Aurélie Raisin