Samba, samba
La belle équipe d’Orfeo Negro

 


Posté le 2.05.2016 à 9H42


 

« On a applaudi sans réserve cette belle et pure et tendre histoire d’amour, et à la sortie de la projection les jurés avaient un sourire qui a paru en dire long… » écrit Jacques de Baroncelli dans Le Monde le 14 mai 1959. Le critique a vu juste : quelques jours plus tard, Orfeu Negro (« l’Orphée noir »), le deuxième film du Français Marcel Camus obtiendra la Palme d’or du Festival de Cannes. Et quelques mois plus tard, il décrochera l’Oscar du Meilleur Film étranger. Cette transposition du mythe d’Orphée dans les « favelas » de Rio de Janeiro, en plein Carnaval, est née d’une drôle de conjonction de talents : un poète diplomate, un scénariste amateur d’art, un footballeur acteur, un cinéaste voyageur… Examen du carré d’as.


ORFEU NEGRO 03

 

Vinicius de Moraes (1913-1980)

Un homme à multiples casquettes : poète (sa spécialité : le sonnet), étudiant à Oxford, brièvement directeur de la censure brésilienne, puis du Festival de Sao Paulo, diplomate en poste à Los Angeles, Paris, Rome ou… Le Havre, auteur-compositeur-interprète et co-inventeur de la Bossa Nova avec Antonio Carlos Jobim. A l’automne 1956, le tandem a produit pour le Teatro Municipal de Rio Janeiro la comédie musicale Orfeu da Conceiçao. Grand succès. A Paris, Vinicius de Moraes rencontre le producteur d’origine russe Sacha Gordine qui est séduit par l’idée d’adapter au cinéma cette tragédie avec feu d’artifices de couleurs et de musique. Grand succès, bis. En 1962, toujours avec Antonio Carlos Jobim qui compose la musique, Vinicius de Moraes écrit les paroles de A garota de Ipanema – devenu hit planétaire sous le titre The Girl from Ipanema. Grand succès, ter.

 

Marcel Camus (1912-1982)

Il fut l’assistant (réputé) de Jacques Becker et passe à la réalisation à 45 ans avec Mort en Fraude, situé en pleine guerre d’Indochine, qui évoque le colonialisme – un sujet qui fâche dans le cinéma français. Suit Orfeu Negro qu’il tourne au prix de multiples difficultés, attendant longtemps à Rio les fonds que le producteur Sacha Gordine a du mal à trouver pour un projet aussi atypique, qui plus est en portugais. « J'avais déjà filmé le véritable carnaval, en 1957, à l'occasion d'un premier et très bref séjour à Rio, explique-t-il à l’époque au Monde. Mais ces prises de vues avaient la seule valeur d'un documentaire. Aussi, pour faire le " raccord ", j'ai reconstitué entièrement le carnaval, et nous avons tourné six nuits de suite avec la participation bénévole des spectateurs. Le tournage du film a duré quatorze semaines. J'ajoute que j'ai utilisé la couleur, et que tous les décors - scènes d'intérieurs et d'extérieurs - sont naturels." Boudé, malgré cette authenticité, par la Nouvelle Vague (Godard exécute le film dans les Cahiers), Camus tournera avec moins de succès deux autres films brésiliens, avant de faire une belle carrière à la télévision (notamment La Porteuse de pain, scénario de René Wheeler, Molière pour rire et pour pleurer, auquel collaborent Aurenche et Bost)

 

Jacques Viot (1989-1973)

"Un jour, je reçus un coup de téléphone. – Je suis votre voisin de palier..., disait la voix au bout du fil,... J’aimerais vous entretenir d’une idée de film que j’ai eue. Je demandai à mon correspondant de traverser le palier afin de venir s’entretenir avec moi. – Jacques Viot, s’annonça-t-il en se présentant." C’est Marcel Carné qui se souvient de sa rencontre avec celui qui lui apporte quelques feuillets baptisés Fait divers, qui deviendront – grâce à Prévert - Le Jour se lève. Avant de devenir scénariste à part entière, Viot a un passé d’aventurier : proche des surréalistes, marchand de tableaux, il a fui la France, soupçonné de recel ou de vol d’un Modigliani. Caché à Tahiti, il rassemble des objets d’art océanien, dont quelques-uns, aujourd’hui, se trouvent au quai Branly. Est-ce à cause de son intérêt pour les « arts primitifs » que Sacha Gordine pense à lui pour Orfeu Negro ? Il écrira deux autres films pour Marcel Camus.

 

Breno Mello (1931- 2008)

Il demeure un (petit) mystère autour de Breno Mello, l’Orfeo baraqué que Marcel Camus a trouvé parmi plusieurs milliers de candidats, au terme de longs mois de casting : a-t-il vraiment joué avec Pelé ? Car, à l’époque, Breno Mello, né à Porto Alegre, est footballeur : à Fluminense, puis à Santos, le club de la star. En équipe première ?… Si le Brésil est à la mode, à la fin des années 50, c’est à cause du développement du pays, symbolisé par l’inauguration prochaine de Brasilia, mais aussi parce que le Brésil a montré au monde son talent footballistique – et l’émergence de la star Pelé – en remportant la Coupe du Monbde 1958 (et en éliminant la France de Kopa et Fontaine, au passage). Breno Mello ne parvint pas à vivre de son nouveau métier d’acteur et retourna, paraît-il, dans les stades – quelle équipe, quelle division ? En 1959, il n’avait pas pu faire le voyage pour Cannes, mais il se rattrapa en 2005, à l’invitation du gouvernement brésilien, pour la présentation au Festival du documentaire A la recherche d’Orfeu Negro (inclus dans le DVD d’Orfeu Negro paru chez Potemkine)

Adrien Dufourquet


Orfeu Negro de Marcel Camus

Me 4/05 à 19h - Sa 7/05 à 16h30

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