AUX ORIGINES DU MYTHE
Nosferatu, le premier "non-mort"


Posté le 20.03.2016 à 11H


 

Vous avez aimé le Dracula de Coppola ? Vous êtes un(e) fan de Twilight ? Vous avez dégusté toutes les saisons de True Blood ? Revenez à la source. Dans la famille "canines pointues", découvrez l'aïeul à la dentition parfaite, le patient zéro du mal des Carpathes, celui par qui tout commença : Nosferatu le vampire, longue silhouette anguleuse immortalisée par la caméra de Friedrich Wilhelm Murnau.

 

NOSFERATU LE VAMPIRE 1922 01

 

Le film est un chef-d'œuvre, point. Il montre mieux qu'aucun autre la mort au travail, lente instillation du mal dans une bourgeoise cité allemande, inéluctable destruction de la vie – et de son expression la plus joyeuse, l'amour  par sa face sombre. Amis romantiques, dit Murnau, vous avez chanté votre mal-être entre deux chopes de bière, parcouru les sous-bois en quête d'esprits accordés à votre humeur boudeuse, feint le désespoir pour mieux jouir d'une vie finalement plutôt tranquille ? Eh bien voici le noir, l'horreur, le néant qui va vous engloutir, la folie meurtrière, le corps qui se vide de son sang... On rigole moins, hein ?

Le plus extraordinaire, dans ce film mythique, est, comme souvent, la façon presque accidentelle, innocente dont il se fabrique : Murnau est un jeune cinéaste de 33 ans, aux manettes de l'unique production de la Prana Films. Société fantôme pour un film (de) fantôme ? De fait, on ne s'y embarrasse guère de légalité et on opte pour un projet qui pompe de façon éhontée un roman à succès : Dracula de l'Anglais Bram Stoker, déjà porté au théâtre. Il suffira de changer les noms !

Ainsi, le mot Nosferatu, qui figure deux fois dans le livre, sonne bien dans toutes les langues : Stoker l'a lui-même trouvé chez les historiens (plus ou moins fiables) du folklore et des croyances d'Europe de l'Est. "Dracul" c'est le diable, "Nosferatu", le non-mort... Le héros du roman, le jeune agent immobilier Harker, qui crapahute dans les Carpathes à la poursuite d'un riche et noble acheteur, devient Hutter. Etc. Quelques semaines seulement après la première berlinoise du film, en mars 1922, fête assez somptuaire où Ernst Lubitsch lui-même aurait dansé le fox-trot, la veuve de Bram Stoker attaque la Prana pour plagiat. Illico la société se déclare en faillite et cesse ses activités.

Film de contrebande, donc. Film d'horreur de contrebande, aussi. Bien sûr, à grand renfort de publicité, ce Nosferatu marche sur les traces du succès du Cabinet du docteur Caligari, manifeste de l'expressionnisme avec ses décors de biais et son intrigue bizarre, sorti quelques mois plus tôt... Mais qu'y a-t-il de cet expressionnisme à la mode dans Nosferatu ? C'est au contraire parce que les gros plans magnifiques de Fritz Arno Wagner, chef-op' de génie, saisissent les corps, les visages, la vie telle qu'elle est  et même avec une précision, une densité rares  que leur destruction annoncée nous saisit, nous effraie. Murnau invente le cinéma d'horreur, comme cette admirable séquence en accéléré où le comte prépare ses cercueils pour le voyage vers l'Ouest, mais ce qu'il raconte, transcendé par son exceptionnelle sensibilité, excède les limites du genre. C'est l'inexorable tragédie humaine.

 

 

Adrien Dufourquet

 


Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau (1922)
Mercredi 22 mars à 20h45 dans le cadre de la 2e édition des Soirées du cinéma muet
19h - Conférence "Le cinéma muet en Allemagne : expressionnisme et autre (Strassenfilm, grand spectacle)" par Martin Barnier