Eclat de rire
Comment Monicelli inventa Le Pigeon

 


Posté le 25.04.2016 à 12H30


 

 

1958, invention d’un genre. Pas n’importe lequel : la « comédie à l’italienne », soit une façon de regarder le monde, misère comprise, avec malice, ironie, l’éclat de rire pour recouvrir le chaos de la société moderne. Les héros du Pigeon (en italien, I soliti ignoti – les inconnus habituels) sont les laissés-pour-compte du « miracle italien », ce formidable « boom » économique qui vient faire oublier les divisions du fascisme et les privations de l’après-guerre. Ce sont des Italiens tout petits, petits, et même des Italiens de toute l’Italie – Sicile comprise : un agrégat de branquignols qui s’improviseront malfrats comme ils se sont improvisés adultes.

 

Parmi eux, il fallait un fanfaron : ce fut Vittorio Gassman, boxeur minable, torse toujours bombé. La production voulait Alberto Sordi, Mario Monicelli imposa cet acteur de théâtre shakespearien qu’on n’avait pas encore vu faire le pitre, et qui le fit mieux que tout le monde. La présence de Toto, dans le rôle du spécialistes des coffre-forts, fut perçue comme un passage de relais, la comédie italienne classique s’inclinant devant le genre, plus en prise avec le réel, qui allait lui succéder. Et Marcello Mastroianni gagna ses galons de star. Il y a quelques années, on voyait encore Via delle tre Canelle à Rome, le soupirail par lequel se faufilent nos voleurs d’opérette. Un pélerinage à faire !


PIGEON


Ecoutons Mario Monicelli : « Le Pigeon naquit de façon bizarre : Cristaldi avait produit Les Nuits blanches, de Visconti et le film avait nécessité la construction à Cinecitta d’un grand décor qui représentait tout un secteur du quartier de Livourne appelé Venezia. Cristaldi nous demanda, à Age, Scarpelli et à moi – le trio qui faisait des petits films bon marché qui rapportaient de l’argent -, si nous avions une idée pour exploiter cette construction qui avait été très coûteuse, et dans laquelle, moyennant de légères transformations, on aurait pu tourner un second film. Comme le quartier Venezia était un lieu misérable de sous-prolétaires, nous pensâmes vaguement à une histoire de petits voleurs. Mais le décor fut finalement démantelé et l’occasion perdue. Nous étions donc plus libres d’inventer le sujet.

Le film partit comme une parodie du film de Jules Dassin, Du Rififi chez les hommes : de fait, parmi les différents titres auxquels nous avions pensé, il y eut même « Du Rufufu chez les hommes ». Alors que dans le Rififi, le casse était organisé de façon magistrale, avec une grande précision, nous voulions montrer une bande de minables qui tentaient un coup trop grand pour eux et qui échouaient dans leur entreprise. Nous le faisions dans l’exaltation pour les films américains que nous voyions : Asphalt jungle, etc. Le personnage de Gassman répétait sans cesse : « Il faut agir de façon scientifique ! Vous êtes prêts ? Mettez vos montres à l’heure ! »


PIGEON-01


Le Pigeon
était un contrepoint au genre des films policiers ou de gangsters, fait avec nos acteurs, avec une humanité modeste que Age, Scarpelli et moi connaissions bien parce que nous vivions beaucoup au contact d’individus de ce type, des gens qui vivaient autour de nous. Il y eut une autre innovation dans le film : le milieu représenté est celui d’une Rome des quartiers pauvres, toute grise et anonyme. Le producteur me reprocha une photographie trop sombre, trop dramatique, alors qu’en fait il y avait une photographie admirable de Gianni Di Venanzo. » (tiré de Mario Monicelli, L’Arte della Commedia, cité par Jean Gili dans Le Cinéma italien)

Adrien Dufourquet


Le Pigeon de Mario Monicelli

Je 28/04 à 16h30 Présenté par Fabrice Calzettoni - Je 5/05 à 16h - Ve 6/05 à 20h45

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