Coup d’essai, coup de maître
5 bonnes raisons d’idolâtrer
Le Faucon Maltais


Posté le 07.07.2016 à 11H39


 

1941 : il faut imaginer John Huston jeune, ce qui n’est pas facile. Il a 35 ans, a donné à la Warner un paquet de scénarios pour des films qui ont bien marché, et la Warner lui offre en retour un premier film comme metteur en scène. John Huston est un grand lecteur, il sait qu’on peut tirer meilleur parti du Faucon maltais, le roman de Dashiell Hammet que la Warner a déjà porté deux fois à l’écran, sans grand bonheur, en 1931 et 1936.

 

Il suffit de coller les dialogues du livre sur une page blanche, de rajouter quelques indications (numéros de scène, mouvements de caméra) et il aura un excellent scénario. C’est d’ailleurs ce qu’il commence par faire  - avant d’affiner un peu l’affaire… Le résultat ? Un film bavard, vaguement claustro – deux plans en extérieur maximum – mais qui stupéfie par sa finesse, son humour, son sens du sous-entendu. Et qui pose les jalons d’un genre : le film noir. Pourquoi l’admirer encore aujourd’hui ?


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1/ Parce qu’on n’y comprend rien…

… et que ça n’a aucune espèce d’importance. On exagère un peu : il y a une statuette d’oiseau, en or et diamants, à récupérer, il y a un pauvre détective de San Francisco, Sam Spade, qui se retrouve parachuté, sans le vouloir, au milieu de ceux qui se disputent l’objet. Mais pourquoi diable le personnage joué par Sydney Greenstreet décide-t-il à un moment de droguer Humphrey Bogart ? Les hypothèses sont nombreuses. Le plaisir de se perdre, d’être aussi perdu que les personnages – mais en moins grand danger – ce sera l’un des grands atouts du film noir américain.

 

2/ Parce qu’en compliquant tout, Huston atteint à l’essentiel…

Une poignée de « rapaces » - empruntons le mot au film de Stroheim – s’affrontant pour la conquête d’un trésor ? Bien sûr. Mais comme dans tous les films à venir de Huston, l’objectif est illusoire, seule compte la quête… Et les sentiments qui agitent les personnages excèdent le cadre du film policier : désirs plus ou moins interdits (hétéro et homosexuel), volonté de puissance, goût et science de la manipulation, vertige du masque (tout le monde se ment et se trahit), quête identitaire et soif d’absolu (inatteignable). C’est du Hammett ou du Beckett ?

 

3/ Parce qu’Humphrey Bogart

Bogart avait joué pas mal de gangsters – presque toujours deuxième choix après George Raft -, il venait de refuser un film et le studio l’avait même « suspendu » trois semaines (comme un joueur de foot qui aurait séché l’entrainement). En Sam Spade séducteur, sardonique, brillant stratège, Bogart invente ses rôles à venir : on adore le voir rouler ses cigarettes, flirter - ou plus - avec sa secrétaire/ses clientes/la femme de son associée, avoir la main qui tremble quand il a feint la colère devant Sydney Greenstreet, se sortir, toujours avec astuce (ou une bosse), des griffes des flics ou des méchants. Aura et maîtrise de soi : il y a des cours pour ça ?


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4/ Parce que tous les autres

Le Faucon Maltais est peut-être le film le mieux « distribué » de la décennie : Mary Astor, splendide de fausseté (son personnage) et de vérité (elle-même), que Huston faisait courir entre les prises pour lui donner l’air frémissant et apeuré – il couraient d’ailleurs parfois ensemble vers la loge du réalisateur… Mais aussi l’alchimie étrange qui s’installe entre Peter Lorre, alias Joel Cairo, voix de fausset, parfum capiteux, loin, si loin de M le maudit, et Sydney Greenstreet, le « bouffi » (selon les sous-titres français), chercheur d’or raffiné et dangereux, immense acteur de théâtre qui connaît son premier rôle au cinéma.

 

5/ Parce que c’est (aussi) une magnifique histoire d’amour

Ludique, poétique, déroutant, Le Faucon Maltais devient profondément émouvant dans son dénouement – pas d’inquiétude, on ne dira rien. Qu’est-ce qui a grandi entre les personnages joués par Humphrey Bogart et Mary Astor ? De l’amour ? Du désir ? Une simple conjonction d’intérêts ? Même « Bogey » est paumé : c’est le seul moment où Sam Spade, le détective qui prévoit/contrôle tout, hésite : doit-il sauver la femme très, très fatale au risque de se perdre lui-même ? Ou l’abandonner à son sort ? Ce couple en crise, forcé de prendre une décision rapide, c’est eux, c’est vous, c’est nous.


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 Adrien Dufourquet



Le Faucon maltais de John Huston
Sa 9/07 à 18h30 – Di 10/07 à 16h45
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