Comptabilité cinéphile
Mikio Naruse en 5 chiffres

 


Posté le 20.04.2016 à 12H30


 

 

En noir et blanc et en écran large (le « Tohoscope »), Une femme dans la tourmente est un des derniers films (1964) du grand Mikio Naruse, pourtant moins connu que les cinéastes nippons habituels… En cinq chiffres, tout ce qu’il faut savoir sur ce subtil portrait de femme et sur son auteur.

 

1905

Sa naissance à Tokyo. Ce qui fait de Mikio Naruse le cadet de Kenji Mizoguchi (né sept ans plus tôt) et l’aîné d’Akira Kurosawa (né cinq ans plus tard). Deux ans le séparent seulement de Yasujiro Ozu, né en 1903. Comme frères… Du carré d’as du cinéma japonais classique, Ozu et Naruse forment la paire réaliste, contemporaine et familiale, qui interrogèrent dans l’immédiat après-guerre les mutations de la société japonaise. Le poète Yasujiro avec plus de soin esthétique, le sombre Mikio avec davantage d’amertume et une attention particulière pour les personnages féminins.

 

76

C’est le nombre de longs métrages tournés par Mikio Naruse, orphelin « tombé en cinéma » dès l’âge de 15 ans, âge où il cumulait les petits boulots au sein de la Sochiku. Première réalisation à 25 ans (un court-métrage) et dernier film, Nuages épars, en 1967, deux ans avant sa mort. Après la Sochiku, il passera à la Toho, « major » nippone de l’après-guerre. Dans sa filmographie, un goût pour le mélodrame retenu (« ses films sont comme un large fleuve, calme à la surface, mais traversés de très fort courants en profondeur », disait Kurosawa, qui s’y connaissait). Il devient le maître du « shomin-geki », littéralement « théâtre populaire », une sorte de néo-réalisme sage (pas d’acteurs amateurs, quand même !), adaptant au passage plusieurs récits de la romancière Fumiko Hayashi (1903 – 1951), peintre des « gens de peu », comme Derniers Chrysanthèmes ou Nuages flottants.

17 1/3

Dix sept films et un tiers, c’est le nombre de collaborations entre Mikio Naruse et son actrice fétiche, la douce Hideko Takamine (1924 – 2010), ex-enfant prodige du muet. Devant la caméra de Naruse qui, paraît-il, ne lui donnait aucune indication, elle est toujours une femme du peuple, têtue et dure au mal, qui tente de surmonter les difficultés à vivre dans un pays de plus en plus troublé par la disparition des valeurs ancestrales. Grand rôle, celui d’une hôtesse de bar de Ginza (sur le retour) dans Quand une femme monte un escalier. Mais elle est bien aussi, visage à la Catherine Frot, dans Une femme dans la tourmente (titre « narusien » par execellence) où elle tente de faire marcher sa petite épicerie, menacée par l’irruption des super marchés, et de cacher son amour pour son beau-frère, Koji. Pourquoi « un tiers » ?, A cause du troisième récit du film à sketches Les Baisers (1955). Fellini a bien son Huit et demi, non ?


13

C’est le nombre d’années qui, dans Une femme la tourmente, sépare Hideo Takamine de son partenaire Yuzo Kayama, star du ciné japonais des années 60 : la veuve de 39 ans peut-elle désirer le frère cadet, 26 ans, glandeur et grand joueur de patchinko, de son mari défunt ? Cet amour qu’elle refuse – il ne cesse lui dire qu’il l’aime, elle l’aime aussi et se tait – est magnifié dans la dernière séquence du film : celle où le couple impossible quitte Shimizu, au sud-ouest de Tokyo, dans un train de nuit. Les rails défilent comme la ligne droite de leur vie, et le flirt devient tout à coup possible… ou presque.


3 000 000

C’est le nombre (approximatif) des pertes, civiles et militaires, du Japon pendant la seconde guerre mondiale… Tourné en 1963, Une femme dans la tourmente évoque l’arrivée de la société de consommation et la fin des privations alimentaires – les œufs à 5 yen pièce ! Mais les morts stupides des dernières années de guerre conditionnent encore le destin des survivants : Reiko a perdu son mari et son beau-père et ce déséquilibre – elle a bâti seule la boutique et fait vivre sa belle-famille – est ce qui l’entrave. Inexorablement, le poids du passé conditionne le présent des personnages.


Adrien Dufourquet

 

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