Posté le 21.06.2016 à 10H21
Début des années 70, Jean-Pierre Dardenne suit des cours d’art dramatique, son frère Luc est étudiant en philosophie. Une rencontre va changer leur vie : celle d’Armand Gatti, homme de théâtre et de cinéma, invité à l’IAD (Institut des Arts de Diffusion, à Louvain-la-neuve) où étudie l’aîné de la fratrie.
Quelques mois plus tard, après l’école, le sort en est scellé : Jean-Pierre devient l’assistant de Gatti, revenu travailler en Belgique, et Luc le rejoint. Leur job : collecter en vidéo des témoignages de gens ordinaires qui serviront au dramaturge pour l’écriture de ses pièces.
Les frères prennent goût à ce travail, sillonnent les quartiers populaires de Wallonie. Leur idée ? La parole recueillie recréera un lien social en train de disparaître. De fait, les témoignages enregistrés sont projetés, le dimanche matin, en public – et le public est là, peu à peu. Souvent, il y est question des souvenirs des luttes ouvrières. « On a fait presque six cents interviews comme ça, des portraits, raconte Luc Dardenne dans la revue Contre Bande en décembre 2005. Peu de personnes venaient [les voir] au début. Mais celles qui venaient finissaient par se rencontrer et par discuter ensemble toute la matinée. »
Propriétaires – à crédit – de leur matériel, les Dardenne apprennent les rudiments du cinéma, et assez vite on leur demande de documenter une grève ici, les revendications d’un collectif de lycéens plus loin. Un premier documentaire, Le Chant du rossignol (1978), sur la résistance anti-nazie en Wallonie, attire le regard d’un responsable de la RTBF, la chaîne de télé nationale francophone. Avec la promesse d’une diffusion, les Dardenne se lancent dans ce qui deviendra Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois (1979).
Ils ont rencontré un ouvrier, Léon Mazy, que sa participation aux grandes grèves de l’hiver 1960-1961, spécifiques aux charbonnages et à la métallurgie wallone, a un peu mis sur la touche. Autours de lui, ils bâtissent un documentaire assez brechtien en superposant trois niveaux de récit : 1/ Léon M. descend la Meuse à bord du bateau qu’il a lui-même construit, 2/ des images d’archives, assez stupéfiantes, rendent compte de la « grève du siècle », 3/ des anciens manifestants, présents en 1960, racontent leurs souvenirs.
L’ensemble résonne de façon dialectique pour montrer que « la résurrection d’une insurrection passée vient contresigner l’échec des insurrections d’aujourd’hui ». Les Dardenne cherchent encore leur style, ce qui est bien légitime : on s’étonnera peut-être d’une voix off lyrique qui donne tour à tour la parole au fleuve et à la mouette… Mais on notera que le plans montrant Léon Mazy au travail, construisant son bateau, ces images qui s’attardent sur ses gestes, précis et répétés, ne sont pas si loin de celles d’Olivier Gourmet au travail dans Le Fils. Qu’il est passionnant de découvrir la genèse de deux cinéaste de génie…
Adrien Dufourquet
Lire la suite :
Archéologie Dardennaise (2) À l'écoute du monde
Archéologie Dardennaise (3) À la rencontre des corps
Archéologie Dardennaise (4) Dernier stade avant l'éclosion
DOCUMENTAIRE
Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Ma 21/06 à 18h45