ALIEN, ACTE 3
Fincher, vainqueur au finish


Posté le 04.01.2017 à 10h


 

« Il n’y a aucune moyen pour qu’un cinéaste débutant fasse sans heurt un film d’un budget de 50 millions de dollars dans cette ville [Los Angeles], avec la panique qui règne dans le métier en ce moment. Aucun moyen. Parce que si vous ne pouvez pas dire : « Faites-moi confiance, j’ai réalisé Les Dents de la mer », pourquoi vous feraient-ils confiance ? Pendant un « conference call » avec la Fox, le producteur David Giler, incroyablement agressif et agacé, a un jour lancé : « Pourquoi est-ce que vous l’écoutez ? c’est un vendeur de chaussures… » »

 

Le « vendeur de chaussures », qui raconte lui-même l’anecdote, s’appelle David Fincher. Il n’a pas encore trente ans, s’est fait connaître en travaillant pour ILM, la boite d’effets spéciaux de George Lucas - qui, fut, un temps, le voisin de ses parents – puis en réalisant des clips (pour Madonna, notamment) et des spots de pub. Dans l’un d’entre eux, tourné pour la marque Nike, il s’agissait, effectivement de promouvoir une paire de chaussures…

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Quand il s’épanche dans Premiere (version américaine), David Fincher est encore aux prises avec un premier film dont le budget n’a cessé d’augmenter et la date de sortie de... reculer. Parce que la 20th Century Fox avait prévu trop court en temps et en argent pour ce troisième épisode d’Alien, treize ans après l’original de Ridley Scott, six ans après le premier « sequel » signé James Cameron ? Ou parce que le débutant n’a pas dérogé à sa réputation de perfectionniste têtu, cherchant à imposer coûte que coûte sa marque sur un projet où on l’a choisi comme simple exécutant ? Eternel débat : les jeunes cinéastes engagés aujourd’hui par Disney pour les suites ou « spin-offs » de Star Wars le connaissent bien…

Sur le tournage d’Alien 3, le studio tranche, sans surprise, pour la deuxième option : la production ferme le plateau londonien, où l’équipe a fait le gros du travail à l’abri des « décideurs », visionne un premier montage, somme Fincher de boucher les trous du récit. A Los Angeles, et au pas de charge, s’il vous plaît… Circonstances atténuantes, Fincher est arrivé tard sur le projet, au terme d’une incroyable série de décisions ineptes et contradictoires. Récapitulons : prévoyants, les trois producteurs de la saga – David Giler déjà cité, Gordon Carroll et le cinéaste Walter Hill – ont pourtant pensé au troisième Alien dès la sortie du second. Ils ont fait un choix audacieux : mettre au travail l’écrivain du « cyberpunk » William Gibson. Le temps qu’il rende un script, des changements ont eu lieu à la tête de la Fox.  « William qui ? » Exit Gibson…

Deuxième essai, deuxième échec, avec le scénariste Eric Red (auteur des premiers films de Kathryn Bigelow), Renny Harlin étant envisagé comme réalisateur. Puis David Twohy (qui n’a pas encore écrit et tourné Pitch black), rend à son tour un scénario, jugé très intéressant, qui se déroule au fin fond de l’espace, dans une colonie pénitentiaire. Sauf qu’entretemps, Walter Hill est tombé amoureux d’un film du Néo-zélandais Vincent Ward, Le Navigateur : une odyssée médiévale (en compèt’ à Cannes 1988), avec voyage dans le temps et peste noire. Il lui propose de diriger le film d’après le scénario de Twohy. Ward refuse, écrit sa propre version, où Sigourney Weaver, alias Ripley, atterrit sur une planète où vit une communauté de moines, dans des décors à la Jérôme Bosch. Le studio ronchonne, trouve que le Néo-Zélandais s’intéresse beaucoup trop à ses moines et pas assez à la créature extra-terrestre ou à Sigourney Weaver. Adieu, Vincent Ward !

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David Fincher apparaît alors comme un recours : un petit génie de la technique qui, pense-t-on, obéira au doigt et à l’œil. Tant pis s’il hérite d’un scénario péniblement ressemelé par deux scénaristes de plus, qui ont fusionné les versions précédentes. La Fox a déjà dépensé 13 millions de dollars – un tiers du budget initial – dans cette valse-hésitation, pas étonnant qu’elle « radine » un peu par la suite. « Vous devriez être content d’avoir 40 millions de dollars de budget à votre âge », lance un producteur à Fincher. « Ce sera parfait si vous voulez un film de quarante minutes », répond l’insolent… La suite, heureusement, est sur l’écran : un Alien noir et brutal – comme si l’ombre de Fight club rôdait déjà – d’où émerge le visage, crâne rasé, de Sigourney Weaver. Un film décousu et par instants virtuose, un « blockbuster » qui fit flop, mais où un futur immense cinéaste fait ses gammes en accéléré. Passionnant de revoir l’enfance d’un chef…


Adrien Dufourquet

 


Alien 3
Je 5/01 à 18h45 - Ve 6/01 à 21h - Di 8/01 à 18h15

Rétrospective David Fincher
Tout le programme ici