Carlos Saura (1932-2023) incarne dans les années 1960 une relève s’attelant à ausculter les ravages humains du franquisme, et obligée pour cela de jouer à cache-cache avec la censure. Né dans un milieu artistique, le jeune Saura enseigne le cinéma tout en passant derrière la caméra, d’abord sous l’influence du néo-réalisme italien. Mais son amitié avec Buñuel témoignera d’un goût plus bigarré, incluant surréalisme, recherche plastique, recours au symbolisme. Le destin international de son troisième film, La Chasse, Ours d’argent au Festival de Berlin 1966, qui évoque le souvenir de la guerre civile, le place en chef de file d’une génération ibérique contemporaine des nouvelles vagues européennes.
Les années qui suivent sont très productives. Saura s’entoure de fidèles, le producteur Elías Querejeta, le scénariste Rafael Azcona, et l’actrice-muse Geraldine Chaplin. Il élabore un style qui lui est propre : des récits le plus souvent resserrés autour de la cellule familiale, voire du couple, qui sont autant de métaphores de l’enfermement du pays, où le passé traumatique encombre le présent. « J’ai découvert la nécessité de s’exprimer par le biais de la mise en scène de l’imaginaire, en me heurtant à l’impossibilité en Espagne d’affronter la réalité présente. Il fallait saisir d’autres aspects de la société comme les fantasmes, les obsessions, les rêves. »
Cette période de son œuvre culmine avec le succès mondial de Cría cuervos, Grand prix à Cannes 1976. À la noirceur de certains films (comme Peppermint frappé ou La madriguera) succède des œuvres plus truculentes, comme Maman a cent ans. Au terme de ces « années rebelles », Carlos Saura s’imposera comme un maître et ne cessera de tourner jusqu’à sa mort, en février dernier.
Remerciements à Tamasa
En collaboration avec l’Instituto Cervantes de Lyon
Soirée d’ouverture
Présentée par Denis Revirand
Mercredi 21 juin à 18h30
Cría cuervos de Carlos Saura (1976, 1h49)
![]() La Chasse Quatre hommes, dont trois d’âge mûr, partent à la chasse dans un paysage dévasté qui, trente ans plus tôt, fut un champ de bataille. La chaleur exacerbe les passions… Saura décrit avec force et précision un rituel masculin et brutal. « Je voulais montrer le processus de désintégration de ceux qui ont participé à la guerre civile, leur dégradation. J’en ai connu jusque dans ma famille. » |
![]() Peppermint frappé Un radiologue transfère sur son assistante le désir qu’il a de la femme de son meilleur ami… Inventaire caustique des frustrations de la bourgeoisie franquiste, à travers un quatuor amoureux empreint de voyeurisme et de fétichisme. Le film est dédié à Buñuel et offre un spectaculaire double (voire triple) rôle à Geraldine Chaplin. |
![]() Stress es tres tres Alors que le monde occidental découvre les effets nocifs du stress, un long voyage en voiture plonge Fernando dans le doute : sa femme et son meilleur ami, qui l’accompagnent, sont-ils attirés l’un par l’autre ?… Grand film méconnu de Saura : en décrivant avec ironie une jalousie pathologique, il révèle peu à peu l’infantilisme de la classe dominante espagnole. |
![]() La madriguera Dans une maison moderne de béton et de verre, un couple s’amuse puis se déchire… Acte III de l’étude « saurienne » quasi entomologique du couple : ici une crise en huis clos, qui débute par le surgissement d’objets venus du passé et où les grands bourgeois montrent leurs vrais visages d’enfants immatures. Geraldine Chaplin, dans un rôle « borderline », a participé à l’écriture du scénario. |
![]() Le Jardin des délices Pour récupérer l’argent placé à l’étranger d’un riche industriel paralytique et amnésique, sa famille organise des jeux de rôles afin de réactiver sa mémoire… Fable noire sur la cupidité, satire mordante d’une famille symbole d’un pays, le film fut longtemps poursuivi par la censure espagnole. Parce qu’on entrevoyait Franco vieillissant dans le personnage principal ? |
![]() Anna et les loups L’arrivée d’Anna (Geraldine Chaplin), jolie gouvernante étrangère, bouleverse les trois frères d’une famille espagnole : José le militaire, Fernando le bigot et Juan l’obsédé… Pour Saura, chacun des personnages masculins illustre une facette du franquisme. La satire est féroce et donnera lieu, malgré l’âpreté de sa conclusion, à une suite, Maman a cent ans. |
![]() La Cousine Angélique De retour en Castille pour accomplir les dernières volontés de sa mère, Luis est précipité dans son enfance et retrouve sa cousine Angélique, devenue femme… Saura emmêle savamment les fils de la mémoire, donnant à l’un de ses acteurs fétiches, José Luis López Vázquez, l’occasion spectaculaire de se jouer adulte et enfant. La représentation frontale de la guerre civile fit scandale en Espagne. |
![]() Cría cuervos Ana et ses deux sœurs sont élevées par leur tante dans une grande maison triste. Témoin de la mort de ses parents, la petite fille vit dans un monde onirique où passé et présent se rejoignent… « Je n’ai jamais cru au paradis de l’enfance », dit Saura qui tisse ici une chronique intime et émouvante d’une famille rongée par les mensonges et les frustrations. À l’image de tout un pays ? |
![]() Elisa, mon amour Elisa rend visite à son père qui s’est retiré dans la campagne castillane et qu’elle n’a pas vu depuis 20 ans. Entre eux, le dialogue difficile va-t-il reprendre ?… Deux acteurs magnifiques (Geraldine Chaplin et Fernando Rey, justement primé au Festival de Cannes) au cœur d’un puzzle mental comme les affectionne le cinéaste, qui entremêle avec maîtrise fantasmes, souvenirs et réalité. |
![]() Maman a cent ans Alors que la famille s’apprête à fêter les cent ans de la matriarche, le retour d’Anna, aujourd’hui mariée, provoque réactions en chaîne et dévoile un complot… Reprenant les personnages de Anna et les loups, Saura livre une nouvelle satire de la famille, hantée par les névroses et la cupidité. Le ton est plus léger, et même truculent. Avec Geraldine Chaplin et un immense Fernando Fernán Gómez. |
![]() Vivre vite Trois jeunes délinquants, qui vivent de vols de voiture et autres petits larcins, rencontrent une jeune femme et partent avec elle sur le chemin du grand banditisme… Le franquisme est mort et Saura cesse de scruter le passé pour inspecter de façon quasi documentaire, sans moralisme, le présent d’une génération perdue. Un constat saisissant. |
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