CHEFS-OPÉRATEURS DE GÉNIE
Quand Vilmos et Laszlo traversaient l'Atlantique


Posté le 31.01.2016 à 11H


 

Il faut imaginer les deux vingtenaires, Laszlo Kovacs et Vilmos Zsigmond, nés au début des années 30 à trois ans et une centaine de kilomètres d'écart, respectivement à Cece et Szeged, au sud de Budapest. Étudiants à l'école de cinéma de la capitale hongroise, ils ont fui les chars soviétiques, après avoir filmé, au risque de leur vie, la répression de la révolution hongroise de 1956 (2500 compatriotes tués), ils ont passé la frontière avec l'Autriche, comme plus de deux cent mille réfugiés, en gardant le négatif de ces images de guerre caché sur eux, et ils ont débarqué à Hollywood, la Mecque du cinéma. Le premier producteur qu'ils rencontrent, qui ne s'appelait ni Zanuck, ni Selznick, les regarda de haut : "Vous voulez bosser dans le cinéma ? Apprenez l'anglais, d'abord..."

 

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Alors Laszlo est devenu Lester ou Leslie Kovacs, ou même Art Radford, et Vilmos est devenu William Zsigmond, grimpant à toute allure – compétence oblige  les échelons hiérarchiques des équipes de tournage, jusqu'à devenir les chefs-opérateurs de séries B ou Z, des films d'horreur, d'action ou d'érotisme. Leur compétence, justement, c'est de faire bien le boulot, et de le faire vite : le vieux système des studios explose, le travail hyper-léché des opérateurs classiques n'est pas de mise dans cette "nouvelle vague" bas-de-gamme où l'on tourne en extérieurs des histoires, parfois métaphoriques, parfois non, de vampires, de tueurs sadiques et de nymphettes dénudées. Kovacs et Zsigmond apportent le réalisme et l'inquiétude de la vieille Europe au Nouveau Monde.

Kovacs reprendra définitivement son prénom magyar après Easy Rider de Dennis Hopper (1969), Zsigmond redeviendra Vilmos après John Mc Cabe de Robert Altman (1971). Suivirent d'autres classiques, signés Altman, Boorman, Cimino, Rafelson ou Bogdanovich. Les deux Hongrois signèrent la lumière du cinéma d'auteur américain des années 70, une lumière crue mais belle, réaliste mais ciselée, une façon de regarder le monde après laquelle courent peut-être les cinéastes d'aujourd'hui.

Le beau documentaire de Pierre Filmon, Close encounters with Vilmos Zsigmond, se concentre sur l'aîné du tandem (notamment parce que Kovacs est mort en 2017 et qu'il abdiqua une partie de son ambition artistique au fil du temps). Zsigmond, lui, nous a quittés début 2016  il avait 85 ans  quelques mois après le tournage. C'est une merveille de les écouter, lui et les cinéastes qui ont bénéficié de son talent, expliquer des méthodes de travail innovantes, prise de vues casse-cou sur Délivrance, négatif "flashé" de John McCabe; ou encore d'être petite souris, yeux grand ouverts quand ses amis de l'ASC (American Society of Cinematographers) devisent gaiement, galerie de génies (Haskell Wexler, Caleb Deschanel, etc.).

Vilmos Zsigmond reçut un Oscar pour Rencontres du Troisième type de Steven Spielberg (1977), tournage qui ne le combla pas tant le réalisateur était interventionniste. Mais son travail sur La Porte du Paradis (beau témoignage d'Isabelle Huppert), sur les films de De Palma (émouvante conversation entre John Travolta et Nancy Allen à propos de Blow Out) ou sur le percutant film musical de Mark Rydell, The Rose, doit être apprécié à sa juste et haute valeur. L'hommage énamouré de Pierre Filmon est une touchante et passionnante leçon pour tous les amoureux du cinéma...

 

Adrien Dufourquet

 


 

Hommage à Vilmos Zsigmond
Jeudi 2 février à 19h à la Villa Lumière
En présence de Pierre Filmon