MONTY ET LIZ SE CHERCHENT UNE PLACE AU SOLEIL
Le long baiser sans repère des amoureux d'après-guerre


Posté le 20.02.2017 à 11H


 

Peu de films auront été autant désirés par George Stevens qu'Une place au soleil, l'adaptation – libre  d'Une tragédie américaine, roman de Theodore Dreiser. Le sentiment du cinéaste, au retour de la guerre, alors qu'il est encore tourmenté par la vision du camp de Dachau, dans lequel il a été un des premiers alliés à pénétrer, est que son cinéma ne pourra plus jamais être léger. Exit les comédies, musicales ou non. La vie est un drame, point. Et la conscience des hommes ne peut plus être la même après un conflit si meurtrier, et les crimes contre l'humanité qui l'ont accompagné.

 

Soleil

 

Publié en 1925, Une tragédie américaine avait été acheté très tôt par la Paramount, alors qu'il s'agit d'un texte clairement hostile à la société capitaliste, écrit par un romancier qui ne cache pas ses sympathies communistes : son héros se perd dans le mirage de la consommation, l'espoir d'une vie de confort "chez les heureux du monde" - comprenez les riches et les oisifs. Tant pis s'il renie sa propre origine, tant pis s'il devient un meurtrier. Eisenstein, pendant son séjour nord-américain, avait rendu un scénario jugé impossible à tourner, et c'est Josef Von Sternberg qui en filma une première version en 1931.

Pour George Stevens, le sujet exprime parfaitement le doute, la perte des repères, la conscience tragique de l'homme – comprenez de l'humanité  de l'après-guerre. Le studio renâcle, craint la censure : il y a dans le récit une jeune femme non mariée mais enceinte, et qui pense à avorter; il y a aussi un héros qui mène une double vie... Face à des mois d'atermoiements, Stevens finira par intenter un procès à la Paramount, à la fois pour entrave à son travail et pour "gaspillage" de bons scénarios. La double accusation sera enterrée aussitôt que le "feu vert" est finalement donné au projet. Mais Stevens a radicalement changé le livre. Ce n'est plus l'histoire d'un arriviste, d'un jeune ambitieux prêt à tout pour une vie facile; c'est celle d'un type piégé par une jeune fille trop possessive, qui en aime sincèrement une autre et qui est aimée d'elle. Peu importe qu'elle soit une milliardaire. N'est-il pas plus victime que coupable...

Stevens a trouvé en Montgomery Clift et en la toute jeune Elizabeth Taylor  elle a 17 ans pendant le tournage  le couple idéal pour donner corps à cet amour sincère et condammé. Côté Monty Clift, le recours à la méthode de l'Actor's Studio convient au caractère torturé du personnage ; côté Liz Taylor, son innocence et sa beauté juvénile sont les garants de la pureté de ses sentiments. Pour plus de sentiments encore, le cinéaste fait jouer sur le plateau la bande originale, romantique et tragique, de Franz Waxman  qui deviendra plus tard le générique de l'émission Cinéma, cinémas.

Et dans ce film que Stevens cadre souvent de loin, comme si les personnages étaient les jouets d'un destin qui les dépasse, il s'autorise un très gros plan quand Clift et Taylor s'avouent leur amour. « On pourrait nous voir » lance la fille  et même si elle parle des invités de sa riche famille, on croirait qu'elle pense à nous, spectateurs voyeurs contemplant les visages des stars, leur peau, leurs traits, leurs baisers. Ces quelques secondes de bonheur épié annoncent déjà la chute à venir, inéluctable, du duo d'amour d'un des plus célèbres mélodrames du cinéma américain...

 

Adrien Dufourquet

 

 


Une place au soleil de George Stevens (1951)
Mardi 21 février à 20h30 en présence de Michel Ciment
Vendredi 24 à 20h et dimanche 26 à 16h30