Shakespeare revisité
D’où vient le Macbeth de Polanski ?

 


Posté le 27.05.2016 à 12H26


 

"Pour être honnête, il est impossible de regarder certaines scènes sans penser à l'affaire Charles Manson. Il est impossible de voir un film réalisé par Roman Polanski, et de ne pas être ébranlé par l'image d'un bébé " arraché au ventre de sa mère" [allusion au personnage de Macduff, qui révèle à l'acte 5 être né par césarienne]. Les personnages de Polanski ressemblent à la bande de Charles Manson : anti-intellectuels, épais, et guidés par de profonds désirs de luxure et de violence." En janvier 1971, c'est le grand critique américain Roger Ebert qui, tout en saluant le travail de Roman Polanski (4 étoiles !) fait le macabre rapprochement. De fait, Macbeth est le premier film que tourne le cinéaste après l'assassinat monstrueux de son épouse, Sharon Tate, de l'enfant qu'elle portait et de plusieurs de leurs amis, par les membres de la "secte" de Charles Manson.

MACBETH 01


"Je n'allais tout de même pas skier jusqu'à la fin des mes jours, ne fut-ce que parce que j'allais me retrouver à court d'argent,
raconte Polanski dans ses mémoires, récemment réédités (Roman par Polanski, chez Fayard). L'effet des meurtres avait été de redoubler le flot de scripts horrifiques qui me parvenaient et que je refusais jusqu'au dernier. Après la mort de Sharon, bien peu de sujets me paraissaient dignes d'efforts. (...) Depuis ma jeunesse à Cracovie, j'avais toujours voulu tourner pour le cinéma l'une des pièces de Shakespeare. Je me dis que le moment était peut-être venu. Les principales tragédies avaient déjà fait l'objet d'adaptations admirables à l'écran, seul Macbeth faisait exception. Orson Welles et Kurosawa [dans Le Château de l'araignée] s'y étaient essayés l'un et l'autre avec plus ou moins de succès - et, selon moi, d'échec."

Macbeth est peut-être le grand film oublié de Polanski, une adaptation effectivement supérieure à toutes les autres (auxquelles il faut rajouter désormais celle de Justin Kurzel en 2015 avec Michael Fassbender et Marion Cotillard) par sa simplicité et son efficacité. Fait insolite : le film est produit par Hugh Hefner, le patron pornographe de Playboy qui s'était lancé dans le cinéma - et n'avait pas commencé par le plus facile ! Polanski avait travaillé sur l'adaptation avec le critique et dramaturge anglais Kenneth Tynan : "Nous étions bien décidés à nous écarter résolument de certains clichés de la tradition théâtrale. Dans le film, Macbeth et son épouse sont jeunes et beaux, contrairement à la plupart des mises en scène de théâtre qui en font un couple d'un certain âge écrasé par le destin. C'est le résultat d'une réflexion. Comme le disait Tynan : "Ils ne savent pas qu'ils sont engagés dans une tragédie, ils se croient au bord du triomphe que leur ont prédit les sorcières.""

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Polanski et Tynan rendent la pièce immédiatement claire et facilement compréhensible, l'un des grands enjeux du travail sur Shakespeare. Et il fait des deux personnages principaux, joués par les semi-inconnus Jon Finch et Francesca Annis, un couple de petits arrivistes criminels dépassés par leur propre audace. Et le cinéaste, effectivement, puise dans son passé : "Le traitement d'une scène me fut inspiré par une expérience de mon enfance. il s'agit du moment de l'acte IV où les assassins dépêchés par Macbeth font irruption chez Lady Macduff et son enfant. Je me souvins brusquement de la manière dont cet officier SS avait perquisitionné notre chambre dans le ghetto. Battant la tige de sa botte à petits coups de cravache, jouant avec mon nounours, il avait fini par vider avec nonchalance le carton à chapeaux des biscuits interdits. Le comportement des tueurs de Macbeth repose sur cet épisode de mon enfance." Violent, inspiré, extrêmement personnel, le Macbeth de Roman Polanski est à (re)découvrir...

Adrien Dufourquet


Macbeth de Roman Polanski

Ve 27/05 à 21h - Ma 31/05 à 20h45

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