Robert Bresson, écrire avec la pellicule

 


POSTÉ LE 05.09.2018 À 12H30


 

Suite à la restauration d’une grande partie de son œuvre et en révérence à son travail, Robert Bresson est à l’honneur rue du Premier-Film. L’Institut Lumière salue l’œuvre magistrale du réalisateur qui – en 13 long métrages – a donné tout son sens au Cinématographe, nouvel art où les images se mêlent aux sons pour créer une œuvre singulière au montage. Porté par le rejet du « théâtre filmé », Bresson filme des récits bruts – pétris de réalisme et nourris de ses « modèles », acteurs non professionnels – où la poésie affleure. À (re)découvrir en version restaurée dès le 31 août.

 

Bresson New

 

Dans un même geste

Ce sont d’abord des velléités de peintre qui sillonnent la jeunesse de Robert Bresson, un goût pour « l’organisation des masses et des volumes », un profond intérêt pour le geste et pour la même forme d’asservissement au destin que l’on retrouvera plus tard dans ses films. Spectateur de cinéma enthousiaste, il réalise un premier court métrage en 1934, juste avant d’être fait prisonnier et de passer un an dans un camp allemand. Ses deux premiers films, Les Anges du péché (1943) et Les Dames du Bois de Boulogne (1945), révèlent à ses yeux l’aspect factice du jeu d’acteurs. En réaction à ce qu’il taxe de « théâtre photographié », Bresson invente donc une philosophie dont on savoure la pensée brute mais aussi la pleine poésie dans Notes sur le cinématographe, un ouvrage paru en 1975 tant révéré par ses contemporains que par la jeune garde. Son film suivant, Journal d’un curé de campagne, adaptation du roman de Georges Bernanos sortie en 1951, est déjà imprégné d’un fort désir d’épure.

 

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Les Dames du Bois de Boulogne

 

Le réel, obstinément

Présenté au Festival de Cannes en 1956, Un condamné à mort s’est échappé – une des œuvres les plus troublantes du cinéaste – remporte le prix de la mise en scèneet marque un tournant déterminant dans son parcours. Dès lors, Bresson fait du cinématographe le seul vecteur de sa créativité avec des œuvres d’un dépouillement fulgurant, lequel il obtient par une attention aux détails de la vie quotidienne, à un nombre conséquent de prises et à l’embauche d’acteurs et actrices non professionnelles. Ses « modèles », comme il les désigne, tout comme l’absence de musique extradiégétique, participent à un examen très précis du réel. Robert Bresson signe ensuite Pickpocket (1959), un film où le rythme tient un rôle essentiel, et Procès de Jeanne d’Arc (1962), singulier regard sur la célèbre martyre. Se dessine au fil de son œuvre une forte dimension spirituelle : le don, la grâce et la rédemption viennent nourrir des récits souvent pétris de pessimisme quant à la condition humaine. Au hasard Balthazar (1966), qualifié par Godard de « film-monde » tant il aborde tous les complexes aspects de l’existence, en est peut-être le plus fier exemple. 

 

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Procès de Jeanne d'Arc

 

Pour la postérité

Le cinéma de Bresson approche la couleur en 1969 avec Une femme douce, l’adaptation d’une nouvelle de Dostoïevski, puis Lancelot du Lac (1974), long métrage au budget conséquent qui refuse la modernité des productions de l’époque. Le Diable probablement vaut à Bresson l’Ours d’argent au Festival de Berlin en 1977 et son tout dernier film, L’Argent, une adaptation de Tolstoï, reçoit lui le Grand Prix du cinéma de création à Cannes en 1983, et ce malgré la virulente réaction de la critique. Le cinéaste, qui avait fait de sa vie un exemple de discrétion, se retire de la scène publique au milieu des années 80 pour se consacrer à son grand projet de Genèse, et à la peinture peut-être. La carrière de Robert Bresson est saluée au Festival de Venise en 1989 et par le prix René-Clair en 1995. Il s’éteint en 1999 à l’âge de 98 ans, laissant derrière lui 13 long métrages et presque autant de chefs d’œuvre. Nombreux sont les cinéastes dont les films portent en eux l’héritage bressonien, au creux du paysage francophone, mais aussi des États-Unis à la Chine.

 

L. Pertuy