Philippe Labro : Tout peut (encore) arriver

 


Posté le  14.10.2014 à 18h05


 

En 1969, année de la sortie de La sirène du Mississipi, de L’armée des ombres de Z ou de Ma nuit chez Maud, un jeune journaliste de renom faisait ses premiers pas au cinéma avec un road movie modeste et mal assuré, mais très intéressant à découvrir aujourd’hui : Tout peut arriver.

 Philippe Labro

 

    Le plaisir que provoque ici le cinéma lorsqu’ouvre le Festival, s’est trouvé accru hier par l’annonce d’une… « projection secrète ». So exciting, non ?  « Elle aura lieu ce lundi » buzzait le dans sa première édition le quotidien Rue du Premier Film en des mots choisis pour faire monter le désir. Concrètement, une copie restaurée », «arrivée à la dernière minute » que Thierry Frémaux souhaitait montrer « à Bertrand Tavernier  et à quelques amis ».  Ils n’ont pas été déçus ces amis, parmi lesquels Pierre Riscient, Richard Anconina, ou Alexandre Bompard, PDG de la Fnac.

    Le titre de cet obscur objet du désir ? Tout peut arriver. Déjà une promesse en soi. A l’arrivée, un road movie minimal tourné en quelques semaines durant l’année 1969 par un journaliste français de 33 ans, qui s’était fait connaître des années plus tôt par sa couverture passionnée de l’assassinat de JKF pour le prestigieux France Soir : Philippe Labro. Accompagné de sa fille, L’ancien directeur de RTL était présent hier pour assister à la renaissance de ce film fondateur de ce que deviendra plus tard son cinéma. Emu, un peu gêné aussi dira t-il à l’issue de la projection, « pour n’avoir vu que les défauts ». Il y en a certainement, mais la fraicheur qui a présidé à son baptême de cinéaste demeurent bien visible et vivante.

    Dans le rôle principal, Jean-Claude Bouillon. L’acteur n’a pas encore intégré alors à la télévision Les Brigades du tigre, mais il semble en revanche qu’il en ait « mangé » tant il met de fougue et d’énergie physique à camper Philippe Marlot, clin d’œil patronymique au héros de Raymond Chandler que Labro place depuis toujours dans son panthéon personnel.

    Marlot, grand reporter revient à Paris après trois années d’absence durant lesquelles son ex-femme à mystérieusement disparu… Son enquête le conduit entre deux faits divers à s’interroger sur les valeurs de son métier alors en plein boum, comme sur sa vie sentimentale, diluée en de diverses liaisons. En guest star, Catherine Deneuve, dans son propre rôle, répondant aux questions sur la célébrité que lui pose Marlot, empathique et vaguement amoureux, en mode François Chalais.

    Plus surprenant encore la présence d’un feu follet circulant à Solex, qui récite du Kierkegaard à voix haute à ses clientes de salon de coiffure. Fabrice Luchini. 18 ans seulement à l’époque, mais déjà sa verve et son amour des textes percent sous sa longue et surprenante tignasse blonde. «Fabrice était alors garçon coiffeur et dans la vie une sorte de Farfadet ambigu, ni homme ni femme » se souvient Labro. Durant le court debrief de ce que nous venions de voir, Thierry Frémaux ajoutait « combien il est intéressant de noter que ce Luchini là, qu’Eric Rhomer façonnera durant les années qui suivront dans un style si différent, était déjà l’acteur volubile et libre qu’on connaît aujourd’hui ».

    Labro raconte que c’est en réalisant des films pour la mythique emission de reportage Cinq colonnes à la une que son goût du cinéma s’est affirmé. «J’avais une grande admiration pour le cinéma de Godard. Ensuite il y eut la rencontre avec Mag Bodard qui ayant gagné beaucoup d’argent avec Les parapluies de Cherbourg, pouvait se permettre de produire des premiers films. Je me souviens qu’elle m’avait dit « vous avez une idée de film Philippe ? » A quoi j’ai répondu bien sûr. Il n’en était rien ». Il se souvient que le scénario tenait sur 30 pages et que nombre de scènes, parmi les plus réussies avaient été improvisées face caméra. Notamment celle qui voit Bouillon-Marlot, répondre aux questions d’une jeune femme au visage enfantin venu lui poser des questions à sa sortie d’avion. Une certaine Chantal Goya, apparue chez Godard justement quelques temps plus tôt. Ce qui amuse l’écrivain-cinéaste, sans indulgence, est le caractère narcissique du film. « J’y mettais en scène mon monde, mes rêves et mes préoccupations » Mais après tout, un premier film est toujours autobiographique, non ?

    Depuis 30 ans, Philippe Labro n’est jamais repassé derrière une caméra, étant devenu pendant de longues années le vice-président de RTL. Et si c’était à refaire ? « Je ne pourrais plus m’atteler à la réalisation d’un film aussi lourd par exemple que le fut mon dernier, Rive droite, rive gauche, avec son budget millionnaires et ses stars à gérer » (Depardieu, Nathalie Baye, ndlr). Et pourquoi pas, un film à petit budget, avec un angle, une idée forte et peu de jours de tournage ? Les yeux de l’auteur de L’étudiant étranger  (Prix interallié 1986) brillent d’un feu nouveau. Et à sa place on a envie de dire : Tout peut arriver.

 

Carlos Gomez