AMIS DANS LE BURLESQUE
Quand Peter vola le film de Blake

Posté le 07.06.2017 à 11H

C’est l’histoire d’un acteur qui vole un film. Un hold-up ultra-fructueux, sans dégâts ni prise d’otages – ou alors, juste les spectateurs. Un hold-up sur un film de hold-up :  admirez l’artiste… On est en 1963, à Rome. Blake Edwards, le réalisateur de Diamants sur canapé, assez beau gosse de 41 ans, attend à l’aéroport un acteur de remplacement, engagé en catastrophe. Le réalisateur n’a pas sa distribution complète trois jours avant le début de son onzième film, La Panthère rose.

Pour son "caper", comme disent les Américains, – prononcez "kéepeur", et comprenez "comédie policière sophistiquée" –, il tient son couple vedette, une jeune beauté du nom de Claudia Cardinale et un partenaire plus mûr (mais très élégant), David Niven. Elle sera la princesse indienne héritière d’un diamant mirifique ; il sera le Phantom, rat (stylé) d’hôtel de très grand luxe, voleur de bijoux à l’audace sans pareille. Pour jouer l’inspecteur qui poursuit le monte-en-l’air et l’épouse du policier qu’on va découvrir amoureuse dudit cambrioleur, Peter Ustinov et Ava Gardner ont été choisis.

Mais à peine débarquée à Rome, Ava fait des siennes, exige une villa, un chauffeur et un chef personnel, puis demande si, vraiment, l’on ne pourrait pas tourner le film en Espagne, ce pays qu’elle apprécie davantage. Réunions, discussions : le film se fera sans elle. Sur les conseils d’Audrey Hepburn – qui a bon goût – Edwards se tourne vers Capucine, actrice et mannequin française ayant entamé une carrière internationale. Pas assez connue pour Ustinov, qui lâche l’affaire. Le cinéaste se rabat sur un comique anglais dont il n’a vu qu’un film mineur – et pourtant, Lolita, de Kubrick, est déjà sorti : Peter Sellers.

Il décide d’aller le cherche lui-même à l’aéroport de Fiumicino : « Sur le chemin du retour racontera plus tard Blake Edwards, nous apprîmes à nous connaître, et découvrîmes que nous étions incollables tous les deux sur le burlesque muet. Nos héros communs s’appelaient Laurel et Hardy, Buster Keaton et consorts. Nous décidâmes alors d’essayer de faire de l’Inspecteur Clouseau un personnage maladroit mais bien intentionné, gaffeur au point de provoquer, contre lui-même, des accidents variés. Mais aussi quelqu’un qui a fait sien ce que je considère comme le onzième commandement : « Tu ne renonceras jamais ». Clouseau n’imagine jamais qu’il pourrait échouer… »

La suite est connue : produit par la Mirisch Company, qui s’enorgueillissait de laisser les cinéastes libres, La Panthère rose est un mélange étrange de comédie romantique haut de gamme – située parmi les jet-setters de la station de Cortina d’Ampezzo – et de slapstick savamment dosé, pour lequel Edwards trouve en son comédien un frère d’armes. Son art du gag devient quasi-expérimental : à plusieurs reprises, le lit conjugal que partagent Peter Sellers et Capucine, et où devrait se passer l’action, est laissé hors champ. Plus loin, une très longue scène, au tempo volontairement relâché, montre comment, de gaffe en gaffe, Clouseau défait ses adversaires et empêche un double adultère. Le film s’achève par une soirée costumée dont le délire annonce celui d’une autre Party…

Edwards et Sellers se sont entendus à merveille – et le second a transformé un film qui, sans lui, aurait été une version hivernale de La Main au collet. Mais en auto-destructeur patenté, le comédien envoya dès le tournage fini un mot à la production : « Je suis désolé, ce film sera un désastre »… « J’ai entendu parler de cette lettre s’est souvenu Edwards, mais je n’y ai attaché aucune importance. Je pensais ne jamais revoir Sellers… » Vraiment ? Clouseau se démultiplia dans cinq autres films de Blake Edwards – le second, Quand l’inspecteur s’emmêle, étant le meilleur. Et la relation passionnée, amicale et conflictuelle, entre un cinéaste unique et un drôle d’acteur dura de longues années…

Adrien Dufourquet

La Panthère rose de Blake Edwards
Jeudi 8 juin à 18h45, vendredi 16 à 21h et dimanche 18 à 16h30