Les mille et une vies de Pierre Rissient


Posté le 05.09.2016 à 13h


 

Les habitués du Festival Lumière l’ont sans doute repéré, toujours assis en haut de la salle de l’Institut. Parce que l‘âge l’a rendu moins mobile, mais aussi parce qu’avec lui, on prend forcément de la hauteur. Pierre Rissient, 80 ans, est un « homme-cinéma », un cinéphile aux activités si multiples, variées, parfois insoupçonnables, que Clint Eastwood – les deux hommes se connaissent depuis 40 ans – l’a surnommé « Mister Everywhere », Monsieur Partout.

 Pierre Rissient et Jerry Schatzberg

Pierre Rissient et Jerry Schatzberg (photographie d'Olivier Chambon pour Close Encounters
With Vilmos Zsigmond,
un documentaire de Pierre Filmon) © FastProd, Lost Films & Pierre Filmon


Partout, parce que multi-cartes : tour à tour jeune passionné, créateur de ciné-clubs, distributeur de pépites hollywoodiennes, attaché de presse des cinéastes qu’il aime, mais aussi missionnaire pour le Festival de Cannes, producteur-découvreur de Jane Campion, et encore l’un des derniers amis de Fritz Lang, et même cinéaste tout court, à travers deux longs métrages qu’il serait temps de revoir (surtout Cinq et la peau, 1982). Et partout parce qu'en vadrouille aux quatre coins du globe, activiste du 7ème art en France, confident des cinéastes aux États-Unis, dénicheurs de pépite aux antipodes, amateur de culture asiatique, grand influenceur…

Mister Everywhere, c’est le titre, justement, des entretiens menés par Samuel Blumenfeld (en librairie le 14 septembre, éditions Institut Lumière / Actes Sud). Un passionnant ouvrage qui prolonge utilement les documentaires Man of cinema – Pierre Rissient (de Todd McCarthy, 2007) et Gentleman Rissient (de Benoît Jacquot, Pascal Mérigeau et Guy Seligmann, 2016). Outre d’être une mine d’infos sur le cinéma et ceux qui l’ont fait, l’intérêt de ces longs et brillants échanges, incroyablement documentés, est de faire le lien entre les « casquettes » a priori disparates que Pierre Rissient a portées – on ne parle pas des vrais couvre-chefs, dont il est friand pour se coiffer.

Bien sûr, il y a le fil biographique : ces hasards de l’existence qui l’ont ballotté au gré de ses curiosités, sans se soucier, trop souvent, de l’aspect matériel des choses. Non pas une carrière, donc, lui qui fut assistant (de Jean-Luc Godard, notamment), puis bifurqua, mais une vie entière au service d’une passion : voir des films, s’enthousiasmer parfois, et partager cet enthousiasme, connaître ceux qui les ont faits pour mieux comprendre d’où ces films ont surgi, et aider les créateurs à poursuivre leur œuvre.

Ce que ce livre d’entretiens met très bien au jour, c’est, derrière la fragmentation des occupations, une pensée nette, précise, tendue comme un fil. Il y a chez Pierre Rissient quelque chose de l’enquêteur, toujours aux aguets, qui ne se limitera jamais à juger une œuvre mais cherchera à comprendre qui en est l’auteur, pourquoi ce film à ce moment-là, pourquoi l‘oubli un jour et la lumière un autre – voir, par exemple, les pages consacrées à l’oublié Harry d’Abbadie d’Arrast.

Mais à travers le cinéma, ce ne sont pas que des destins qu’il traque – même si ceux des cinéastes américains chassés par le maccarthysme l’ont passionné et ému. C’est, plus largement, une expérience de l’existence : comment quelque chose de la vie passe dans un geste artistique – tout sauf naturaliste. Que ce geste soit la mise en scène d’un film, la rédaction d’un haïku ou la précision d’une danse orientale. Car sa curiosité et sa culture excèdent largement le 7ème art, dessinant la stature d’un « honnête homme », comme on en rêvait à la Renaissance.

Découvrir, à l’écrit ou à l’oral, sa parole précise, c’est évidemment connaître ses aventures de producteur avec John Berry ou Jane Campion, ses longues amitiés de cinéphile, par exemple, avec Bertrand Tavernier, ou les cinéastes qu'il a découverts comme le Philippin Lino Brocka. C'est aussi côtoyer une encyclopédie vivante du cinéma, loin des histoires officielles, loin des postures et des impostures. C’est enfin recevoir une leçon de vie, une certaine façon de regarder l’art, les artistes et le monde. Inutile de dire que ça n’a pas de prix.

 

 


Soirée vernissage du livre de Pierre Rissient, Mister Everywhere
En présence de Pierre Rissient et de Samuel Blumenfeld

Mercredi 21 septembre
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