Les Dardenne vus de Cannes

 


Posté le 26.05.2016 à 14H06


 

Quand on vient comme moi de Lyon et de la rue du Premier-Film, on a d’emblée une certaine sympathie pour deux frères qui font ensemble du cinéma. Et lorsque Luc et Jean-Pierre sont apparus, avec La Promesse, on a rapidement dit « les » Dardenne, comme on dit « les » Lumière. Certes, ils ne sont pas les seuls frères du cinéma mondial mais quelque chose comme une triple évidence a frappé dès leur premier film : une vision du monde, un style, une conviction. Un peu comme les Lumière, d’ailleurs, dont ils sont de ce point de vue parmi les plus beaux descendants.

La Promesse fut un surgissement, Rosetta sonna comme une confirmation : j’étais dans le grand Amphithéâtre Lumière du Palais des Festivals lors de cette séance triomphale qui anticipait, mais nul ne le savait, sur la Palme d’Or donnée par David Cronenberg. Dans la salle, de l’autre côté de la barrière, du côté des applaudissements, pas encore Délégué Général de Cannes, j’étais dans un état d’admiration qui n’a fait qu’augmenter depuis.

On dit qu’il est rare de franchir avec aisance le cap du deuxième film. Que dire alors de la réussite du troisième (Le Fils) et du quatrième (L’Enfant) ? Quatre films qui ont installé « les frères » à une place bien à eux, celle d’un cinéma dont l’apparente simplicité masque une maîtrise irréductible et une inspiration très personnelle. Les Dardenne posent sur la vie un regard de cinéastes et rien d’autre : leurs films pourraient-ils être des livres ? Non, ils sont spécifiquement des œuvres de l’image et du son.

Car il faut encore ajouter que les frères sont des cinéphiles et c’est sans doute cela qui nous a aussi rapprochés. Luc et Jean-Pierre ont à tout moment la capacité et le désir de parler de cinéma, d’un cinéma qui est le leur comme artistes mais aussi d’un cinéma qui parfois ne leur ressemble pas et qui est le leur comme cinéphiles : on comprend vite que la générosité ne leur manque pas, c’est cette même générosité qui nourrit profondément leurs films, qui leur fait aimer leurs personnages, qui leur fait préférer le doute et écarter le jugement.

Je me souviens de la petite fête improvisée sur la Croisette, en 2002, lorsqu’Olivier Gourmet reçut le prix d’interprétation pour Le Fils. J’ai l’impression que c’est ce soir-là, dans l’effervescence joyeuse d’une fin de festival, qu’on a commencé une conversation qui depuis, n’a pas cessé, et qui mêle sans dogmatisme ni retenue l’évocation des mérites comparés du Standard de Liège et de l’Olympique Lyonnais, de Bernard Hinault et d’Eddy Merckx tout autant que de Robert Bresson et de Friedrich Murnau. Depuis, il y a une autre Palme d’Or (L’Enfant), d’autres films, d’autres moments passés ensemble à rire, d’autres SMS échangés pendant les matches. Il y a un autre film aussi, en cette année 2008 : Les Silence de Lorna, qu'on verra avec ce sentiment distillé discrètement mais avec force par le cinéma des Dardenne : la vie est là, l'amour est possible, l’histoire continue…

Et puis un nouveau film, qui sortira à l’automne 2016 : La Fille inconnue.

 

Thierry Frémaux

 

 

 

Extrait de :

Jean-Pierre et Luc Dardenne

Un livre de Jacqueline Aubenas (Renaissance du livre)

Sortie septembre 2008

 

Cet ouvrage de plus de 300 pages, dédié à Henry Ingberg, retrace chronologiquement la carrière des frères Dardenne et leur filmographie, des « Années Video » au « Silence de Lorna » et parcourt les différentes étapes de la fabrication d'un film. Jacqueline Aubenas a fait appel à différents auteurs afin que la diversité des regards et des approches permette d'ouvrir le livre à tous ceux qui veulent comprendre ce qu'est le cinéma.

Avec des textes de Florence Aubenas, Marie-Aude Baronian, René Begon, Françoise Collin, Emmanuel d'Autreppe, Carole Desbarats, Jacques Dubois, Nathalie Flamant, Daniel Frampton, Thierry Frémaux, Bamba Gueye, Michaël Ismeni, Marc Kravetz, Caroline Lamarche, Robert Legros, Marc-Emmanuel Mélon, Dominique Nasta, Jean-Luc Outers, Jean-Marie Piemme, Marc Quaghebeur, Philippe Reynaert, Frédéric Sojcher, Dick Tomasovic et Ralph Zechendorf.