Le cinéma russe en France :
"Je t'aime moi non plus"

 


Posté le  12.02.2015 à 16H30


 

Rencontre avec Joël Chapron, grand spécialiste du cinéma russe. En écho à sa venue à l'Institut Lumière le 19 février dernier, pour une soirée autour de l’histoire du cinéma russe en France, avec la projection de La Ballade du soldat de Grigori Tchoukhraï.

 

Ballade Du Soldat 5

 

 

    Vous étiez venus en 2012 à l'Institut Lumière pour un panorama général de 70 ans de cinéma russe. Cette année vous avez évoqué l'histoire de ce cinéma soviétique en France...

    C'est une histoire particulièrement riche et complexe, très liée aux évolutions des relations politiques internationales. Cela a commencé avec l’invention du cinéma, avec les premières années beaucoup de films français exportés en Russie. Puis arriveront en France les films produits par l'Union Soviétique, avec en alternance des périodes de  grande ouverture puis de censure, de part et d'autre des deux pays, sur un mode de "Je t'aime moi non plus." Exemple révélateur de ces relations heurtées, un film comme Le Cuirassée  Potemkine, aujourd'hui considéré comme un classique incontournable, a été interdit en France entre 1929 et 1953.

 

    Le poids important qu'a longtemps eu le parti communiste français a-t-il contribué au prestige du cinéma soviétique en France?

    Absolument. Le parti va faire tout son possible pour mettre ce cinéma en avant et le faire connaitre, y compris pendant les périodes de censure, avec l'action de personnalités militantes, tel l’historien du cinéma George Sadoul. Il ne faut pas oublier que l'armée soviétique a été notre alliée contre le nazisme, et pendant une dizaine d'années après la guerre l'URSS va jouir d'une bonne image en France, ce qui va se ressentir dans la réception des films :  Le cinéma russe va arriver à une sorte d’apogée en France, avec de nombreux films distribués et beaucoup de grands succès, comme par exemple La Ballade du soldat, qui a été projeté après la conférence.

 

    Alors que nous avons plutôt eu le sentiment de faire redécouvrir une rareté...

    Ce fut pourtant à l'époque un véritable blockbuster, avec près de 2 millions d’entrées ! C'était LE grand film qu'il fallait absolument voir. Inimaginable aujourd’hui pour un film russe en France.
Arrivent la fin des années 50 et les années 60, avec les chars à Budapest, à Prague, le mur de Berlin... L'image de l’Union Soviétique va se fissurer et là encore, cela va se traduire dans notre rapport aux films. On va désormais s'intéresser aux cinéastes dissidents, tels que Tarkovski ou Paradjanov.

 

    Qu'en est-il du cinéma russe aujourd'hui en France? On pense surtout à quelques grands auteurs, régulièrement sélectionnés dans les festivals.

    Oui, des cinéastes comme Sokourov ou Zvyagintsev, dont le dernier Film, Léviathan a d'ailleurs été l'un des plus grands succès du cinéma russe en France depuis la chute du mur. Mais c'est l'arbre qui cache la forêt. Ces films sont vus en France car les distributeurs savent qu'il existe un public pour ce grand cinéma d’auteur, à rayonnement international. Mais qui prendrait le risque de distribuer une comédie ou un polar russe? Il n'y a aucune garantie que de tels films trouvent leur public, à moins d’engager d'énormes moyens de promotion. Du coup c'est un cercle vicieux : on à l'image d'un cinéma russe élitiste, distribué à 10 ou 15 copie France, et on perd de vue sa diversité.