Justice et politique
Quand Le Juge Fayard fait « Biiip » !

 


Posté le 9.05.2016 à 11H21


 

Sac2

 

Trois lettres, un son. Le 11 janvier 1977, la veille de la sortie de son nouveau film Le Juge Fayard, dit le shériff, la justice condamne Yves Boisset, roi du film-dossier engagé, le Francesco Rosi français, a faire disparaître des copies une image et quelques sons. L’image, c’est celle ci-dessus, où un voyou croit intimider le juge « rouge » d’une ville de province avec sa carte tricolore de membre du SAC ; les sons, on les entend quand les pesonnages évoquent entre eux ce Service d’Action Civique, véritable « police parallèle » créée en 1960 pour soutenir le général de Gaulle revenu aux affaires, et dissoute par François Mitterrand en 1982. Service d’action ou service d’ordre, milice de nervi, politisés (ex-OAS) ou non, qui compta parmi ses responsables Alexandre Sanguinetti et Charles Pasqua.

Yves Boisset et Albert Jurgenson, son monteur, passent alors une nuit blanche pour gratter l’image incriminée et occulter le son, qui sera remplacé par un biiiip sonore – bientôt toutes les salles de France crieront « Sac salauds ! » ou « Sac assassins ! » à chaque bip entendu dans le film… « De deux choses l'une, écrit le journaliste de L’Aurore, trois jours plus tard, – ce qui revient au même, – ou bien les plaignants, par leur " action civile ", ont obtenu l'effet inverse que celui recherché, ou bien le metteur en scène Yves Boisset et son équipe, en prenant leurs ciseaux hier après-midi, ont assurément, sans malice, réussi un beau coup. L'essentiel était, bien sûr, que les coupures ne passent pas inaperçues. Le succès du film paraît assuré. »  


Yves Boisset a vite dégainé. Le film ne suit que de 18 mois à peine la tragédie qui l’a inspiré : l’assassinat du juge François Renaud, forte personnalité en lutte contre le grand banditisme en général et le gang des Lyonnais en particulier, dans une ville qu’on appelle à l’époque Chicago-sur-Rhône ! Boisset et son scénariste Claude Veillot (l’auteur du Vieux fusil) ont privilégié l’angle politique : sous les traits de Patrick Dewaere, qui n’a pas trente ans, Fayard est un jeune homme engagé, proche du Syndicat de la magistrature (qui l’aide ou se sert de lui…) qui s’attaque aux patrons-voyous et semble sur le point de révéler une collusion entre braqueurs et politiciens (via le Sac, notamment) pour le financement illicite des campagnes électorales de la droite. Dans le film, son assassinat est politique.

Le maire de Lyon, Louis Pradel, n’a pas souhaité que le tournage ait lieu là où avait exercé et où est mort le juge Renaud, l’équipe s’exile donc à Saint-Etienne. Elle réunit, derrière Patrick Dewaere et Philippe Léotard, la fine fleur des seconds rôles du cinéma français, habitués des rôles de notable, de Jean Bouise à Jean-Marc Bory, via Henri Garcin, Maurice Dorléac (le père de Catherine Deneuve), Daniel Ivernel ou Michel Auclair. Marcel Bozzuffi, teint en blond, campe un ex de l’OAS à la gachette rapide, tandis que, de façon plus inattendue, Jean-Marc Thibault est un patron sans scrupule, peu soucieux du danger qu’il fait courir à ses ouvriers. 


Un juge assiste Yves Boisset, pour garantir la véracité des scènes et des dialogues : il s’appelle Pierre Michel. Le 21 octobre 1981, il est assassiné en pleine rue dans Marseille. Il luttait contre le trafic de drogue, le réseau appelé French Connection. Un nouveau meurtre politique ? Comme le raconte Yves Boisset dans ses mémoires : « Deux petits malfrats sans envergure furent condamnés à des peines minimales par rapport à la gravité des faits. A leur sortie de prison, ils ont eu la chance de pouvoir réunir sans difficultés apparentes les fonds nécessaires à l’achat d’un commerce et d’un restaurant. Sans doute le prix du silence. » C’est Jean Dujardin qui interprète je Juge Michel dans La French, de Cédric Jimenez (2014).


Adrien Dufourquet

 


Le Juge Fayard dit « Le shériff » de Yves Boisset
Je 26/05 à 16h30 Présenté par Fabrice Calzettoni - Sa 28/05 à 18h15 - Di 29/05 à 14h30

Informations et achat des places