Joyau romantique
La face cachée de Sabrina

 


Posté le 07.06.2016 à 9H37


 

Un comédie romantique délicieuse, et savamment dialoguée, une jeune actrice à la beauté irradiante, habillée par l'un des plus grands couturiers, un suspense haletant avant la happy end - mais cette fin-là est-elle si joyeuse ? Sabrina, de Billy Wilder (1954) est, comme 99,9% de la filmographie du cinéaste un pur joyau, un chef-d'oeuvre d'humour et de précision scénaristique. Mais cette histoire ravissante, à tous les sens du terme, d'une moderne Cendrillon cache, comme souvent, son lot d'engueulades, d'amours cachées et de rancune tenace.


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Un scénariste qui claque la porte

Il s'agit de Samuel Taylor (1912-2000), l'auteur de la pièce originale, intitulée Sabrina Fair, créée à New York en novembre 1953, interprétée sur scène par Margaret Sullavan et Joseph Cotten, entre autres. La Paramount avait acheté les droits d'adaptation de l'oeuvre avant même sa création, s'engageant à ce que le film qui en serait tiré ne sorte pas avant de longs mois - dix, en l'occurrence - pour ne pas diminuer les recettes du théâtre. Samuel Taylor commença à travailler à l'adaptation aux côtés de Billy Wilder puis s'opposa aux changements que voulait apporter le cinéaste. Exemple : dans la pièce, on apprend tardivement que le père de Sabrina, chauffeur des richissimes Larrabee de Nouvelle-Angleterre, a placé si intelligemment ses gages qu'il est lui-même millionnaire. Chez Wilder, rien de ça, trop facile que les pauvres deviennent subitement riches !... Du coup, Taylor s'en alla et arriva son remplaçant, Ernest Lehman, qui finira le script pendant le tournage. Avec un tel retard qu'il frisa le "burn out" : un jour, Wilder dut demander à Audrey Hepburn de feindre une grosse migrane pour trouver le temps de réécrire une scène... Coïncidence, Taylor allait ensuite participer à l'écriture de Vertigo, d'Hitchock, et Lehman à La Mort aux trousses, du même...

 

Un acteur qui fait la gueule

C'est Billy Wilder lui-même qui le raconte dans ses Conversations, recueillies par le cinéaste Cameron Crowe (disponible chez Institut Lumière / Actes Sud). Le réalisateur rêvait de travailler avec Cary Grant, mais celui-ci, une fois de plus, lui fit faux bond. L'agent d'Humphrey Bogart se manifeste, l'affaire est fait. "Mais Bogart avait l'habitude d'être dirigé par John Huston, se souvient Wilder, et ils buvaient tout le temps. Il ne m'aimait pas, parce qu'au tout début, après le tournage, on buvait un peu, deux ou trois martinis, dans la loge de William Holden. J'ai oublié de l'inviter. Il était tout seul dans sa loge, avec le coiffeur qui devait lui mettre sa perruque. Il ne faisait pas partie de la bande (...) J'ai réécrit le rôle pour lui. Je lui apporte une scène que j'ai un peu modifiée. Il la regarde et demande : "Quel âge a votre fille ?" Je lui dis : "Ma fille a environ 7 ans." "C'est elle qui a écrit ça ?" Mais à très haute voix ! Il voulait faire rire tout le monde. il était nouveau à la Paramount. J'étais un vieux de la vieille. Personne n'a ri parce que tout le monde était de mon côté. C'était un sale con." Plus tard, dès qu'il parlait de Sabrina, Bogart disait du mal d'Audrey Hepburn, se plaignant que son inexpérience oblige Wilder à multiplier les prises. Et puis, à la veille de sa mort (en 1957), il appela le cinéaste pour s'excuser.


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Une actrice qui cache bien son jeu

Audrey Hepburn est irrésistible dans son rôle de jeune femme mutine, d'une beauté sublimée par les robes d'Hubert de Givenchy - mais c'est Edith Head, qui habilla tous les autres acteurs, qui décrocha l'Oscar, et affirma qu'elle avait corrigé les dessins du couturier ! "Avec Audrey, raconte Wilder, nous échangions des blagues. On riait beaucoup. Elle était un peu frivole, vous savez, dans ses plaisanteries. Ce n'était pas la Vierge Marie. Mais, sortant de sa bouche à elle, c'était deux fois plus drôle." Cameron Crowe l'interroge : "Sa liaison avec Willam Holden était-elle connue de tout le monde sur Sabrina ?" Etonnement de Wilder : "Je n'en ai jamais entendu parler. Je n'ai jamais rien vu de semblable. Je l'ai lu dans un livre et j'ai dit : "Qu'est-ce qu'ils racontent ?!" C'était impossible, impossible. Ça n'a pas pu avoir lieu. Elle était toujours mariée à Mel Ferrer, et je n'y crois toujours pas. Vous y croyez ?" Réponse de Crowe : "Je n'y avais jamais pensé jusqu'à ce que je lise la biographie de Bogart. Cité par son fils, Bogart, à l'époque de Sabrina, s'inquiète de ce que leur liaison affecte l'équilibre du film à son détriment." Quelle cachottière, cette Audrey !



Adrien Dufourquet

 


Sabrina de Billy Wilder

Je 9/06 à 18h45 – Me 15/06 à 21h – Di 19/06 à 15h45

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