Johnny, le dernier concert lyonnais

Johnny Hallyday, Halle Tony Garnier, novembre 2015
(en arrière-plan : Yarol Poupaud)

© Photo Anik Couble

Mardi 10 novembre

Retour à Lyon à l’heure du déjeuner. Je file directement chez Chabert, le bouchon du « Xav », pour retrouver Yarol Poupaud. Musicien talentueux, arpenteur érudit de l’histoire du rock, admirateur fondu de Dylan comme son frère Melvil, il est devenu le guitariste en chef de Johnny Hallyday auquel il offre sur scène une compagnie agile et énergique. Au cœur du triomphe d’une tournée française qui se prolonge à l’infini, Johnny s’est installé quelques jours à Lyon et c’est ce soir le dernier des trois concerts organisés par Jean‐Pierre Pommier et Thierry Téodori à la Halle Tony Garnier. Je suis encore dans le train quand Yarol m’annonce que Johnny s’invite à notre table, ravi de profiter de l’aubaine et du gâteau de foie qu’il aime par‐ dessus tout. Moi aussi, ravi, je l’aime beaucoup, Johnny, depuis toujours, y compris quand ça n’était pas ou plus la mode – je préfère ce qui n’est pas à la mode. J’aime sa conversation, même quand il la parsème de ces fulgurantes évidences à mourir de rire qui font le tour d’internet. Entre deux questions personnelles témoignant d’une touchante attention aux êtres et aux autres, Johnny vous sort des histoires magnifiques sur la chanson fran‐ çaise, comme celle de Brassens lui prêtant des cordes de gui‐ tare alors qu’il faisait sa première partie, comme la façon dont Aznavour l’aida à ses débuts. « Toute ma vie, je n’ai fait que chanter, me dit‐il. Parfois, on sortait un album en janvier et un autre en novembre. » Mais son grand rêve, c’est le cinéma. Avec Johnny, je sais qu’on parlera de ces films américains 1930/1960 dont il est grand amateur. Partout où il est, chez lui, à l’hôtel, en vacances, il passe son temps en projection. Godard lui a donné une belle légitimité avec Détective, comme Tarantino, à l’admirer dans Le Spécialiste de Corbucci : au festival Lumière, il avait été d’une grande éloquence à son égard. Nous avions accueilli Johnny à Cannes pour Vengeance, le film de Johnnie To, et je le croise parfois à Los Angeles où il vit désormais. Il y a trois ans, le lendemain de l’Oscar de Michael Haneke, je l’avais retrouvé dans un restaurant japonais de Santa Monica, et Alexander Payne, qui m’accompagnait, avait été sidéré de l’entendre évoquer ses films.

Rue des Marronniers, la rumeur de sa présence l’a déjà pré‐ cédé, une nuée de fans l’attendent dans la rue pavée, blocs de papier, posters et photos à faire signer. Accompagné de sa femme Læticia et de son manager Sébastien Farran, il se prête à l’exercice avec patience et m’embrasse affectueusement. Au milieu des fétiches et gris‐gris de l’histoire de la cuisine lyonnaise accrochés au mur, nous descendons à l’étage intermédiaire nous installer à une table garnie d’assiettes de salades de harengs et de museau, de pieds de veau ou de lentilles, de pâtés, de jambon et évidemment de saucisson. « J’ai faim ! » dit Johnny. Il y a trois ans, on a failli le perdre. Il est très amical, il a de beaux yeux bleus, il est habillé comme un rocker, plein de chaînes, de bagues et de tatouages : un homme non repenti, qui allume cigarette sur cigarette. Tout le monde l’aime désormais. On se reverra ce soir et j’espère qu’il chantera : « Si vous me laissez cette nuit, à l’aube je vous donnerai ma vie... »

(Extrait de Sélection officielle de Thierry Frémaux – éditions Grasset)

Les films de Johnny :