« J’ai 22 ans, c’est mon premier voyage en Asie »

 


Posté le  07.01.2015 à 16h39


 

En 2004, à l’occasion de la parution d’un recueil de ses photos de sports, Raymond Depardon évoque ses premiers pas aux Jeux Olympiques de Tokyo.

 

 

Depardon TokyoArrivée du 5 000 mètres. Défaite du Français Michel Jazy, réconforté par l'Américain Bob Schul. Tokyo, 1964

   

    J’ai vingt-deux ans, c’est mon premier voyage en Asie. Cela fait quatre ans que je suis photographe. J’ai fait des escales : à cette époque le vol passait par le sud du continent pour rejoindre le Japon. Je me suis arrêté en Thaïlande pour faire un petit reportage sur le pont de la rivière Kwaï, et à Hong-Kong pour photographier un quartier particulier de l’île de Kowloon City. Nous sommes logés dans une future caserne de gardiens de prison, à quelques mètres du stade dans le parc Meiji. Il y a une foule immense dans les rues, pas question de s’enfoncer dans le métro, rien n’est écrit en anglais. Quant aux chauffeurs de taxi, c’est pire encore. Il y a quelques hôtesses formées en laboratoire, qui parlent quelques mots de français et qui ne savent rien.

    Aussitôt arrivé à Tokyo, j’achète un moteur pour mon appareil photo. Il y avait des piles et des fils, cela ne marchait pas toujours. Robert Legros, un photographe de L’Equipe, n’était pas persuadé des bienfaits du moteur mais à la fin des jeux il a demandé à son journal de lui en acheter un.

    Il pleut beaucoup. Ce sont mes premiers jeux Olympiques. Pour la première fois, le judo est considéré comme discipline olympique. Le Japon compte à l’époque 460 000 ceintures noires. Mais c’est le judoka Hollandais Anton Geesink qui est l’attraction dans les rues de Tokyo et le premier sur le podium. L’événement le plus triste fut la défaite de Michel Jazy. Encore sous cette pluie, avec son chagrin.

    L’incroyable sprinter Américain Bob Hayes, une vraie bombe, remporte deux médailles d’or et quatre records du monde. Il n’a que vingt-deux ans. Je suis très fier de mes photos du passage du relais 4x100 mètres, où l’on voit vraiment que le Français Jocelyn Delecour a plus de deux mètres d’avance au dernier passage. Et sans l’exploit de Bob Hayes, les Français, les plus rapides au passage relais, auraient pu gagner… Ils remportent la troisième place. C’est la première fois que je photographie de l’athlétisme. Je prends un grand plaisir à photographier ces athlètes, au départ comme à l’arrivée. C’est très difficile car il faut toujours devancer l’action. Il y a beaucoup de photos ratées pour peu de réussies, mais le challenge en vaut la peine. Je ne vois pas toujours mes images : je les envoie non développées à Paris. Je vais apprendre à bien connaître et à bien photographier l’athlétisme. Il n’y a rien, dans cette discipline, en-dehors de l’être humain qui fait un effort. Ils sont seuls face à l’effort.

Petit détail. C’est la première fois que l’Algérie, le Niger et surtout le Tchad participent aux jeux Olympiques. Mais l’Afrique du Sud est toujours interdite. Et la Chine refuse de participer à cause de Formose.

    J’allais oublier Christian Caron, toujours sympathique. Et le futur empereur du Japon, très protocolaire et silencieux, qui vient quelques fois avec sa femme regarder les épreuves.

    Le 24 octobre, les jeux Olympiques se terminaient. La France n’avait aucune médaille. Quelques heures avant la cérémonie de clôture, un cheval et un cavalier remportent l’épreuve hippique. La Marseillaise retentit dans le stade olympique. Alors, un autre photographe et moi courons sur la pelouse, poursuivis par les gardes japonais, pour faire des gros plans de Pierre Jonquères d’Oriola qui vient de remporter l’unique médaille d’or française avec son cheval Lutteur B. Devant notre détermination, les policiers nous laissent travailler. C’est la fin de quinze jours de discipline militaire où nous étions, nous les photographes étrangers, parqués à des emplacements différents de ceux de nos confrères japonais.

   J’ai remarqué tout au long des compétitions un tournage de film sur les pelouses. Ils étaient toujours bien placés, notamment pendant les performances de l’Ethiopien Abebe Bikila qui a gagné le marathon et Valeri Brumel le saut en hauteur avec 2.18 mètres. Ce film était réalisé par le Japonais Kon Ichikawa : Tokyo Olympiades est pour moi un des plus beaux films sur les jeux Olympiques.

 

Raymond Depardon

 

> Exposition à la galerie photo de l'Institut Lumière, Lyon 1er :
J.O. Photographies de Raymond Depardon