QUAND DINO RISI RENCONTRA VITTORIO GASSMAN
Le savoureux roman d’un escroc


Posté le 06.03.2017 à 11H


 

En Italie, L’homme aux cent visages – petite exagération : il y en aura un peu moins… – s’appelle Il Mattatore. C’est aussi le titre d’une émission de télévision, lancée en 1959, quelques mois avant le tournage du film, où Vittorio Gassman déclame de la poésie, reçoit des personnalités du monde du sport et du spectacle, défie la censure – un sketch sur l’armateur Achille Lauro est même interdit de diffusion. Il Mattatore – un mot dérivé du matamore espagnol – deviendra jusqu’à sa mort le surnom du comédien.

 

HOMME AUX 100 VISAGES 1960 01

 

Pour Gassman, Mario Monicelli est comme un père, Dino Risi comme un frère. C’est le premier qui a métamorphosé sa carrière en insistant auprès des producteurs – pendant un an, exagérait à son tour le cinéaste  pour que Gassman incarne Pepe, le boxeur ringard et chef de bande, dans Le Pigeon. Succès colossal. Avec le second, la collaboration durera une quinzaine de films – dont un sommet, Le Fanfaron.

En cette fin des années 50, Gassman est déjà un acteur assez connu : il a promené sa belle prestance dans des films historiques (Le Chevalier mystérieux de Riccardo Freda, notamment), fait un court séjour à Hollywood et, à son retour, sa maîtrise de l’anglais lui a offert quelques seconds rôles dans des coproductions tournées à Rome, comme Guerre et Paix de King Vidor. Parallèlement, il est acteur de théâtre respecté, grand "diseur" de classiques : il a monté un Othello fameux, jouant un soir le Maure, le lendemain Iago.

Dino Risi exploite en lui l’histrion amateur de déguisements, le comédien savant se distrayant tout à coup de la culture "haute" dans le geste expressionniste et populaire. Et puis, incarner une multitude de personnages, fût-ce quelques minutes, dans des films qui cavalent de mini-récits en mini-récits, c’est tenter de coucher sur pellicule la société italienne toute entière, de haut en bas. L’Homme aux cent visages n’a pas de rapport avec l’émission de télé évoquée plus haut : c’est, pour paraphraser Guitry, le "roman d’un escroc". Soit un mauvais acteur, qu’on siffle dans ces music-halls d’après-guerre où le public attend la danseuse grassouillette. Et qui en a marre : puisque la scène ne veut pas de lui, il fera du monde sa scène – projet gassmanien en diable.

Et le voilà qui multiplie les identités, imagine mille magouilles pour escroquer, ici un riche fabricant de pâtes qui croit qu'un (faux) général lui refilera le marché des cantines militaires, là un bijoutier crédule confiant une pièce de valeur à un (faux) curé, plus loin, l’escroc originel, celui qui l’a arnaqué pour la première fois et illico mis sur le chemin du crime… Une connaissance plus approfondie de la langue italienne permettrait de goûter encore mieux les différents accents – bolognais, puis sicilien – que Gassman s’amuse à prendre. Quant au déguisement, il finira, c’est tout dire, en Greta Garbo, de passage en Italie. Autour de lui, de bons comédiens : sa fiancée d’alors, régulière partenaire à la scène, la jolie Anna-Maria Ferrero et Peppino de Filippo, frère du dramaturge Eduardo. Que la faconde vivevoltante de Gassman n'écrase pas : génie spectaculaire et bon camarade, grazie Vittorio !

 

Adrien Dufourquet

 

 


L'Homme aux cents visages (1960)
Mercredi 8 mars à 19h, vendredi 10 à 21h et samedi 11 à 16h30