De l'écrit à l’écran
La Chute de Tess

 


Posté le 20.04.2016 à 12H06


 

 

« Et, un peu ennuyée, elle ouvrit les lèvres et accepta la fraise. Ils passèrent quelque temps à flâner ainsi, Tess mangeant avec un plaisir mêlé de répugnance ce que d’Urberville lui offrait. Quand ce fut impossible pour elle de consommer plus de fraises, il lui en remplit son petit panier ; puis tous deux s’en allèrent aux rosiers où il cueillit des fleurs qu’il lui fit mettre à son corsage. Elle obéissait comme dans un rêve et, lorsqu’elle n’en put fixer d’autres, il lui en attacha lui-même un ou deux boutons à son chapeau et en entassa dans son panier avec une prodigalité généreuse.(…)
– Vous gênerai-je en fumant ? demanda-t-il.
– Oh ! pas du tout, monsieur.
(…) À travers les écheveaux de fumée qui se répandaient dans la tente, il observait Tess et sa gentille et inconsciente façon de croquer. Tandis qu’elle baissait innocemment les yeux sur les roses de son corsage, elle ne pressentait guère que, derrière la brume bleuâtre du tabac, se cachait le « malheur tragique » de sa vie, celui qui allait devenir le rayon sanglant dans le spectre lumineux de sa jeune existence. Elle possédait un don qui, en ce moment, lui était funeste. L’épanouissement de sa beauté, son développement physique la faisaient paraître plus femme qu’elle ne l’était réellement et attiraient sur elle les yeux d’Alec d’Urberville. »

 

 

 

 

Scène-clé de Tess d’Urberville, le roman de Thomas Hardy, scène-clé de Tess, le film qu’en tire, en 1979, Roman Polanski : premier jour de tournage, à Fontainebleau, sous la pluie – les intempéries faillirent ruiner le projet. Nastassja Kinski, belle comme le jour, ici éclairée par Geoffrey Unsworth (qui mourra d’une crise cardiaque pendant le tournage) croque la fraise défendue, celle que lui tend son pseudo-cousin (si elle descend peut-être des d’Urberville, lui a simplement acheté le titre de noblesse). Toute la scène est comme un pays des Merveilles, une oasis aux tentations multiples, fruits, fleurs, nourritures choisies, qui feront basculer le destin de la pure jeune femme, le mèneront vers la faute jugée, à l’époque, impardonnable. Le film se noue là, beauté et cruauté mêlées, et la comédienne trouve le rôle, inégalé, qui la révèlera.

Adrien Dufourquet

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