Sommet sur la restauration de films de la HFPA
Le compte rendu de Variety

Sommet de la restauration de films de la HFPA : Jane Fonda, Thierry Frémaux et Alexander Payne appellent à la sauvegarde du film classique


Posté le 10.03.2019 à 10H30


 

Par Pat Saperstein, Rédactrice en chef adjointe (Traduction : Laura Pertuy)

À l’occasion de la première édition de son Sommet de la restauration de films qui a eu lieu samedi dernier à Los Angeles, la Hollywood Foreign Press Association (HFPA) a rassemblé plusieurs grandes figures de l’industrie cinématographique mondiale pour une conversation autour du film classique. L’événement, dévolu à la mise avant du patrimoine cinématographique, a également permis de souligner le caractère urgent de sa conservation via des financements plus conséquents.

 

HFPA-photo

La soirée a été l’occasion d’aborder l’importance du visionnage des films en salles, sur grand écran. L’accent a néanmoins été mis sur les œuvres qui ont été ramenées à la vie grâce au travail d’associations telles que la Film Foundation de Martin Scorsese et UCLA Film Archive.

La HFPA a déclaré avoir investi 6,5 millions de dollars dans la restauration de 125 films depuis 1996.

Les invités de ce Sommet – Jane Fonda, Thierry Frémaux, Alexander Payne, Grover Crisp (Sony) et Jan-Christopher Horak (UCLA) – ont évoqué la nécessité d’accroître le travail de conservation, notamment pour les films muets, indépendants et internationaux. Animée par Sandra Schulberg – dont l’association IndieCollect travaille à la conservation de films indépendants – la discussion s’est conclue sur la projection de la copie restaurée de Pour une poignée de dollars.

Meher Tatna, Présidente de la HFPA, a déploré la disparition définitive de la moitié des films réalisés avant 1950 avant de noter que son association a soutenu la restauration de nombreuses œuvres, parmi lesquelles The Bigamist d’Ida Lupino et la Trilogie d’Apu de Satjayit Ray.

Lors de son arrivée sur scène, Thierry Frémaux a confié qu’il était étrange pour lui de parler de l’Histoire du cinéma à ce moment précis de l’année car il se trouve actuellement en pleine sélection des films qui seront présentés à Cannes. « J’espère que je ne vais pas me tromper et vous révéler le film d’ouverture du festival… à vrai dire, on ne sait toujours pas ce qu’on va projeter, ce qui est problématique », a-t-il lancé en plaisantant. Le Délégué général du Festival de Cannes est aussi à la tête de l’Institut Lumière (Lyon) qui a pour mission la conservation et la diffusion de films de patrimoine.

Il a ensuite donné au public une courte leçon de rattrapage sur les débuts du cinéma, cassant gentiment du sucre sur le dos de Thomas Edison au passage. Les premiers travaux du scientifique américain furent en effet diffusés sur la petite visionneuse du Kinetoscope tandis que Louis Lumière fut le premier inventeur à proposer une projection d’images en mouvement sur grand écran.

« Encore aujourd’hui, c’est ce que les gens aiment : se retrouver pour regarder des images sur grand écran. Peut-être que la revanche de Thomas Edison, c’est Netflix », a-t-il lancé avec malice. Thierry Frémaux a ensuite projeté une série de films fascinants tournés en extérieur par les frères Lumière à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, dont certains ont pu être restaurés grâce à l’aide de la HFPA.

Jane Fonda – dont la carrière a été saluée du Prix Lumière lors du festival lyonnais l’an dernier – a reconnu ne pas être une experte en termes de conservation de films et s’est fendue d’une plaisanterie quant à sa présence à cette discussion : « On a peut-être voulu me punir car mon ex-mari préféré a colorisé la quasi-totalité du catalogue de la MGM. » Elle a confié à l’assistance que Ted Turner avait, à l’époque, été traité comme un paria lors de la débâcle autour de la colorisation des films. L’actrice a poursuivi en soulignant que le magnat américain avait en fait préservé le catalogue de la MGM, permettant ensuite la création de Turner Classic Movies.

« Il est impossible de savoir où l’on va quand on ignore où l’on est déjà allés, a-t-elle déclaré. Peut-être devons-nous investir autant dans la conservation des films que dans leur réalisation. » Lorsque les intervenants ont souligné le besoin de restaurer Le Retour, pour lequel l’actrice avait remporté l’Oscar, celle-ci a semblé prête à sortir son chéquier.

Grover Crisp, qui gère actuellement le programme de protection, de restauration, de préservation et de remodelage numérique de films chez Sony a exposé la façon dont le développement de techniques numériques de plus en plus sophistiquées demande la restauration répétée de certains films. À titre d’exemple, Easy Rider en est à sa troisième restauration. Taquine, Jane Fonda a estimé que les réalisateurs de ce classique du cinéma américain étaient peut-être « trop dans les vapes » pour s’occuper de la copie originale du film à l’époque de sa sortie.

Pour donner un exemple visuel de la grande différence de qualité que peut offrir une restauration, Jan-Christopher Horak a diffusé des scènes vieillies et troubles de westerns que l’on a colorisés avec succès grâce au processus de restauration.

Alexander Payne s’est, lui, décrit comme un « geek de la bolognaise », non pas dans un clin d’œil à son amour pour la viande hachée mais en référence au festival Il Cinema Ritrovatto, à Bologne, une manifestation dédiée à la conservation des films qu’il apprécie tout particulièrement. Il a d’ailleurs encouragé le public à y assister. Quand la HFPA a demandé au réalisateur de sélectionner un film qu’il aimerait voir restauré, il s’est souvenu des mots de l’un de ses mentors, « Il faut sauver les films muets ». Il a donc choisi Le Pirate noir, un film de 1926 avec Douglas Fairbanks, qui fera l’objet de la prochaine restauration financée par l’association.

« Il y a peu de fous de cinéma parmi les réalisateurs et réalisatrices contemporains, peu d’entre eux vont en salles voir de vieux films », a déclaré Alexander Payne.

Il a ensuite évoqué le débat qui oppose le petit écran au grand. « J’estime que la télé annule totalement l’expérience offerte par le cinéma. Je rejoins Thierry Frémaux sur ce sujet. Cela dit, Netflix offre un vaste océan de créativité aux réalisateurs et réalisatrices. »

Soulignant l’importance de préserver les salles de cinéma, en plus des films, Thierry Frémaux a salué l’initiative de Quentin Tarantino et de son New Beverly Cinema. « Nous sommes réunis ici, dans cette magnifique salle », a-t-il déclaré en montrant les dorures de l’auditorium de 1927. Les cinémas sont en danger. À Rome, les salles ont complètement disparu. » Il s’est souvenu de l’insistance de Tarantino pour que Pulp Fiction soit montré en 35mm lors de la projection anniversaire du film, à Cannes, en 2014.

Il a ensuite ajouté que sa génération avait pour responsabilité de préserver la culture cinématographique et de la transmettre aux plus jeunes, comme le font des réalisateurs comme Scorsese et Tarantino. « Ce sera ensuite à la génération d’après de faire le travail. »

« Il faut s’assurer que les grands classiques puissent être visionnés à n’importe quel endroit et à n’importe quel moment, que ce soit en DVD ou sur l’écran d’une salle de cinéma ».

« Même les gens qui cuisinent très bien adorent aller au restaurant… Les fans de sport remplissent les stades même s’ils regardent aussi des matchs à la télé ».

« La prochaine grande aventure, c’est le cinéma muet. Il regorge de trésors venus du monde entier », a conclu Thierry Frémaux.