Archéologie Dardennaise (2)
À l'écoute du monde


Posté le 23.06.2016 à 10H12


 

 

"La Révolution passera par la fréquence mdulée", "Une radio qui serait libre parce qu'elle serait libre de se taire". Sur les routes et dans les champs, en voiture ou à vélo, parfois en bricolant des antennes sur des montagnes enneigés, des personnages mystérieux communiquent par aphorismes et via talkie-walkies - un avenir technophile à la Wim Wenders... C'est la partie la plus étrange, quasi-Godardienne, de R... ne répond pas, un doc que les frères Dardenne signent en 1981 sur l'explosion des radios libres, de Bruxelles à Milan via le Haut-Rhin où la centrale nucléaire de Fessenheim vient d'être mise en service, suscitant moult protestations sur les ondes.


R-ne-repond-plus


Le film est un agrégat de paroles, une Babel (on y parle français, flamand, allemand et italien) qui, avec un peu d'espoir et déjà une forme de résignation, dessine un réseau transeuropéen de résistance citoyenne - résignation parce que l'uniformisation des "mass media", comme ont dit encore à l'époque, liés à la recherche du profit, balaiera l'essentiel de ces tentatives amateurs.

"Le moment d'écoute radiophonique que je ne peux pas oublier se passa au studio d'Air Libre à Bruxelles", se souvient Luc Dardenne : la station a fait une contre-enquête sur le meurtre d'un jeune Marocain par un militant d'extrême-droite dans un bar de Bruxelles. Hélas, les auditeurs qui appellent rivalisent de racisme ordinaire. "Des voix émises par des gens assis à côté de leur téléphone ont tué une seconde fois Ahmed Benamou. Les sons articulés devant les cornets téléphoniques acquéraient soudain la matérialité d'une arme et, ce soir-là, dans un canal entre 100 et 104 Mhz, il coula du sang, la voix s'était faire action." Non, la révolution n'est pas passée par la bande-FM. Elle n'est pas passée du tout.

Autre forme originale, quelques mois plus tard, celle des "ciné-tracts" (Godard, encore !) de Leçons d'une université volante. Le 13 décembre 1981, le Général Jaruzelski a proclamé un "état de siège" en Pologne pour contrer l'influence grandissante de Lech Walesa et du syndicat Solidarnosc. Les Dardenne prennent leur caméra pour cinq films d'une dizaine de minutes - "l'université volante" était une université illégale proposant un enseignement alternatif à celui en cours dans les établissements d'Etat. L'idée : donner la parole à des Polonais de Belgique, installés depuis quelques années, une ou deux. Toujours plus ou moins brechtiens, les films s'ouvrent et se ferment sur une carte de l'Europe, où chacun décrit le chemin parcouru, qui rappele que l'Est, et la Pologne est aussi une terre d'exil. C'est un travail de mémoire, particulièrement émouvant quand - sur deux épisodes - les Dardenne filment une famille belgo-polonaise (parents nés là-bas, enfants nés ici), décryptant la propagande de Radio-Varsovie. Une famille, autour d'une table, se désole de voir leur pays d'origine livré au totalitarisme. Les frères filment leurs mains, leurs gestes, où se lisent l'anxiété et l'indignation. Les Dardenne sont déjà, un peu, les Dardenne.

Adrien Dufourquet

 
Lire aussi : 

Archéologie Dardennaise (1) Premières images, premiers engagements

Archéologie Dardennaise (3) À la rencontre des corps

Archéologie Dardennaise (4) Dernier stade avant l'éclosion

 


DOCUMENTAIRES

Leçons d'une université volante, documentaire (1982, 50min, coul) Ve 24/06 à 18h30

R... ne répond plus, documentaire (1981, 52min, coul) Ve 1er/07 à 19h