5 bonnes raisons de voir
Contes des chrysanthèmes tardifs

 


Posté le 9.05.2016 à 11H21


 

Parce que ses deux films précédents, L’Élégie d’Osaka et Les Sœurs de Gion, critiques du sort réservé aux femmes, et plus précisément aux prostituées, par la société japonaise, ont déplu au pouvoir, Kenji Mizoguchi (1898 – 1956) se réfugie dans le passé. Ce sera Contes des chrysanthèmes tardifs (1939), situé dans le milieu des acteurs de kabuki, peut-être son plus grand film d’avant-guerre : maîtrise totale du style au service du sujet qui lui tient toujours à cœur, le sacrifice des femmes japonaises. Il y a (au moins) cinq bonnes raisons de voir ce chef-d’œuvre, enfin restauré.


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1/ Pour sa véracité.

Mizoguchi et son fidèle scénariste Yoshikata Yoda, s’inspirent, en leur donnant une dimension romanesque, des jeunes années de Kikuguro Onoe VI, futur maitre du kabuki. Il faut rappeler que les grands acteurs de kabuki, au Japon, transmettaient leur nom et leur art à leur progéniture, réelle ou adoptée (comme dans le film). Etre « fils de », porter le nom d’un comédien-star, était alors moins un privilège qu’une charge, une nécessité d’être à la hauteur qui pouvait intimider certains. Le héros du film, à qui seule la bonne de la famille a eu l’honnêteté de dire qu’il ne jouait pas bien, part dans un long apprentissage qui l’amène jusqu’au théâtre de rue, avant d’enfin s’imposer comme un interprète digne de son nom. Des acteurs mettant du temps à éclore – des « chrysanthèmes tardifs », donc – l’histoire du kabuki en est pleine.

 

2/ Pour la beauté du kabuki

C’est une gageure à l’écran, a fortiori pour un public européen : montrer qu’un mauvais acteur de kabuki est devenu bon. Intuitivement, le spectateur comprend pourtant que la dernière chance tendue à Kikunusuke, un de ces rôles de femme qu’il affectionne, sera la bonne. Parce que sous le maquillage blanc et les habits de femme, l’expressivité du comédien explose, même s’il est cadré de loin. Car Mizoguchi refuse le gros plan, regarde le monde comme la scène de théâtre avec la même pudeur distante. L’interprète de Kikunusuke, Shotaro Hanayagi, 44 ans au moment du tournage (une raison, dit-on, pour laquelle Mizoguchi ne rapprochait pas sa caméra) était un acteur de « shinpa », théâtre plus réaliste que le kabuki. Ici, il est génial.

 

3/ Pour les plan-séquences sublimes

Deux scènes magnifiques illustrent le goût du cinéaste pour la séquence laissée dans sa continuité. 1/ La longue promenade nocturne où Otoku, la jeune domestique, avoue à Kikunusuke qu’il n’est pas encore un bon acteur, lent travelling en légère contre-plongée, où l’intimité des deux promeneurs s’épanouit au milieu des bruits de la ville, dans la chaleur de la nuit tokyoïte. Retenue et sensualité mêlées. 2/ Un travelling latéral qui suit Kikunusuke alors qu’il cherche Otoku dans le train qu’elle ne prendra pas : coupe frontale des wagons, que la caméra fouille à la recherche de la jeune femme, descendant et remontant le train dans les deux sens… Splendide !


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4/ Pour l’économie du récit.

Si Kikunusuke est un mauvais acteur, c’est qu’il ne travaille pas assez, se vautre dans la débauche. Comment le montrer ? Une seule scène suffit : eau tout début du film, le voilà aux prises avec deux femmes. Moment cadré (déjà !) d’assez loin, alors qu’on ne sait pas encore avec certitude qui seront les protagonistes du film. Qui sont ces jeunes séductrices tentant de s’arracher le jeune acteur-star ? Deux geishas dans un de ces établissements que Mizoguchi connaissait mieux que quiconque et fréquentait assidûment… Deux femmes qui s’affrontent suffisent à résumer la vie de plaisir dans laquelle Kikunusuke perd son art et sa jeunesse.

 

5/ Pour le sacrifice d’Otoku

Une femme se sacrifie pour l’homme qu’elle aime ; une femme offre son corps, son amour, sa vie, et même sa féminité qui finira par irriguer, par imprégnation, celui qui doit jouer, à la scène, un personnage du sexe opposé. La jolie Kakuko Mori, actrice à la courte carrière, impose au personnage d’Otoku une présence effacée, la discrétion d’un ange-gardien. Son choix – dire la vérité quand les autres flattent – la rend indésirable chez ses employeurs, au sein même de sa famille -, condamnée à une vie d’errance et de misère. Mizoguchi, grand cinéaste de la condition féminine, en fait le martyr d’une société intolérante, la condition d’épanouissement des hommes, qui, pourtant, la maltraitent et l’asservissent.

 

Adrien Dufourquet

 


Contes des chrysanthèmes tardifs de Kenji Mizoguchi
Me 11/05 à 21h - Me 18/05 à 20h45

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