VINCENT LINDON
Toujours le bienvenu


Posté le 23.11.2016 à 11h


 

« J'aimerais dire quelque chose sur Bob Dylan. » À peine dévêtu de son pardessus, cet accessoire qui lui donne l'air à la fois marmoréen et élégant d'un acteur d'après-guerre (un cinéma qui le repose d'une époque trop connectée et superficielle, comme il le confiera), Vincent Lindon annonce la couleur : chair, la sienne, mise à vif pendant plus de deux heures d'une discussion avec Thierry Frémaux qui fut bien plus qu'un écho à celle entendue au Festival Lumière. Plutôt le deuxième épisode d'une histoire orale d'un acteur qui n'aura eu de cesse de s'effacer derrière l'homme. Ou l'inverse ?

 

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© Institut Lumière / Jean-Luc Meige

 

Bob Dylan donc. Un irresponsable : « Quand on obtient le Prix Nobel de la Paix, on peut dire ce qu'on veut pendant quelques minutes devant tous les grands de ce monde. Il en faut en profiter, faire un grand discours. » Pour qui se souvient de l'éloge que l'interprète de Welcome prononça pour Catherine Deneuve le 14 octobre dernier, nul doute que le sien aurait marqué les esprits. Mais Vincent Lindon n'était pas à l'Institut Lumière pour signer une tribune, quand bien même, fidèle aux convictions que dessinent en creux sa filmographie, il aura livré quelques coups de gueule, principalement contre la politique politicienne (« Aucun ne parle de culture, alors que c'est la seule chose qui restera. Personne ne se soucie de l'avenir. ») et contre la dictature de la mise en réseau (« J'aimerais qu'on passe cette soirée sans téléphone, sans Twitter, sans Instagram. Qu'on vive un moment à nous »). Il était là pour faire le récit de duels.

D'abord celui, anecdotique, qui l'opposa au comédien Yves Le Moign'. C'était au début des années 80. Vincent Lindon n'était alors qu'un jeune glandeur qui, dans l'idée de batifoler et pour faire diminuer la pression qu'exerçait son père, avait cru bon de lui avouer une ambition de longue date pour la comédie. Le voilà au Cours Florent, tétanisé par le trac et, à l'époque, si dissipé par ses tics qu'il se fera mettre à la porte par Francis Huster. Ils seront pourtant les déclics de sa carrière quand, confronté au dit Le Moign' pour un rôle, ce dernier, lui-même animé de spasmes incontrôlables, croira à une moquerie.

Ensuite et surtout celui, permanent, qu'il livre avec lui-même. Lui qui se définit « avant tout comme un homme, accessoirement acteur », mais se surprit un jour, entre deux sessions de tournage de Pater avec Alain Cavalier, à saluer des cyclistes avec la satisfaction d'un édile évoluant sans protection rapprochée parmi ses administrés. Lui qui ne tait rien de la violence de ce métier où le moindre faux pas est inscrit dans les annales, mais confesse tracer son chemin vers le centre de l'attention : « Ça ne me dérange pas de ne pas faire un film. Mais qu'on ne vienne pas me dire que je joue aillier alors que je sais que je peux jouer avant-centre. Bien sûr que j'ai envie d'être le meilleur. » Lui qui faillit tout arrêter au début des années 90, las des fausses hésitations des producteurs mais, par « phobie d'être le mauvais souvenir d'un réalisateur », fait montre d'un tel perfectionnisme qu'il demanda un jour à Alain Sarde la permission de refaire pro bono une scène dans laquelle il n'avait que deux répliques.

Vincent Lindon est un homme, assurément, avec ce que cela suppose de contradictions. Il en a fait le terreau fertile d'une carrière sans calcul et d'une image publique sans fard, à rebours de l'entre-soi promotionnel – jusqu'à se désoler d'enfoncer des portes ouvertes, mal pourtant nécessaire à une époque où tout le monde se les ferme au nez. Le public de l'Institut Lumière ne s'y est pas trompé, lui réservant, en lieu et place des traditionnelles questions, des déclarations dont le petit séducteur du Cours Florent n'aurait même pas osé rêver.