CAPES ET CANINES
Tom, parfait vampire


Posté le 02.11.2016 à 16


 

Il est assez rare que l'auteur d'un livre se plaigne publiquement de l'acteur qui va donner vie à l'un de ses personnages. C'est pourtant ce qui arrive à Tom Cruise quelques mois avant le début du tournage d'Entretien avec un vampire (de Neil Jordan, 1994).

 

ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE 1994 07

 

La romancière Anne Rice, qui fera plus tard son beurre d'innombrables chroniques vampiriques le début de la littérature "young adult" , ne cache pas qu'elle aurait préféré Rutger Hauer, pourtant pas tout jeune, pour jouer le distingué Lestat. "Tom Cruise n'est pas plus mon vampire qu'Edward G. Robinson est Rhett Butler [le rôle de Clark Gable dans Autant en emporte le vent]" lâche-t-elle dans les medias. Le choix de Brad Pitt pour jouer l'alter ego du héros ne passe pas non plus. "C'est comme prendre Tom Sawyer et Huckberry Finn !" Trop jeunes, pas assez coriaces.

Bien sûr, les déclarations d'Anne Rice arrivèrent aux oreilles de ses fans, qui firent savoir leur colère à la production  un peu comme, quelques années plus tôt, le choix de Michael Keaton pour jouer Batman avait eu un impact négatif sur le cours de l'action de la Warner... Il y eut même des menaces de mort. Au point qu'il fut décidé de construire une rampe couverte entre la loge de Tom Cruise et le plateau de tournage pour mieux le protéger  et accessoirement garder le mystère sur son look de vampire du XVIIIe siècle.

Sacré peu avant le tournage "acteur de la décennie" au Festival de Chicago, Tom Cruise se contenta alors de déclarer qu'il "espérait prouver que tout le monde avait tort". Comme on était à Hollywood, l'histoire se termina bien : à peine le film terminé, le producteur David Geffen, sûr de son coup, décida d'expédier une cassette VHS à la romancière. Laquelle avoua son erreur et paya même des pleines pages de publicité dans le New York Times et Vanity Fair pour dire le bien qu'elle pensait du film...

Anne Rice n'a pas eu tort. Dans la quinzaine de films qui précèdent Entretien avec un vampire, Tom Cruise a déjà montré l'étendue de son talent, souvent en jouant de sa juvénilité, son air de grand ado  parfois découvrant cruellement le monde réel comme dans Né un 4 juillet. Ici, l'éternel jeune homme peut enfin jouer un vieillard : car si les vampires n'accusent pas leur âge, ils ont quand même quelques kilomètres au compteur. Le voilà donc enfin adulte : violent, injuste, lubrique, insolent, flamboyant, ivre de sa propre supériorité sur les mortels, mais ivre aussi de rage face à sa condition subie. Lestat est un meneur d'hommes, qui s'offre tour à tour un acolyte plus jeune (Brad Pitt) et une mini-compagne de voyage (Kirsten Dunst qui, à tout juste 11 ans, est la révélation du film).

 

ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE 1994 01

 

Cruise y va franco, lutinant les soubrettes, décapitant un rat pour en offrir le sang à Brad, n'éliminant aucune des facettes du personnage. Tiens, quelques années plus tôt, il avait refusé le rôle principal d'Edward aux mains d'argent, de Tim Burton, sous le prétexte que le personnage avait une "sexualité ambivalente". Mais dans Entretien avec un vampire, plus rien ne le gêne : ni les somptueux brushings des vampires  le soin du cheveu semble aller avec la condition de mort-vivant  ni l'adoption, très en avance sur les mœurs, d'une fillette par deux hommes trentenaires vivant en couple. Tom Cruise brillera rarement d'une telle énergie provocatrice...

L'inspiration, il croyait l'avoir trouvée en préparant son rôle : avec Nicole Kidman, ils étaient allés à Paris, où se passe une partie de l'action, en quête d'éternité sans doute : visites de musées, promenades nocturnes dans la ville comme le feraient des vampires, expliquaient-ils. Ivresse d'une décadence feinte... Mais pour Neil Jordan, la clé du rôle était à portée de main : le cinéaste considérait que ses vampires étaient comme des stars d'Hollywood, des gens vivant une drôle de vie hors la vie, dans un étrange isolement. Tom Cruise n'a-t-il jamais autant joué lui-même que sous l'habit du mort-vivant ?

 

 

Adrien Dufourquet