PROPRIÉTÉ PRIVÉE
Touche pas à la femme blanche !


Posté le 22.11.2016 à 11H


 

C’est un OVNI. Un film américain presqu’oublié de 1960 qui serait, disons, le chaînon manquant entre Tennessee Williams et Wes Craven – avec un dégagement vers Michael Haneke. Soit un duo de jeunes types travaillés par leur libido qui squattent une villa vide des hauteurs de Los Angeles : ils matent dans la maison en contrebas la belle épouse esseulée qui plonge dans sa piscine en attendant son conjoint. Et ça leur donne des idées…

 

PROPRI T PRIV E 04

 

Libido compliquée d’une part, puisqu’un l’un des deux types doit séduire pour l’autre, peu sûr de lui ; solitude amère de l’autre : le mari de la femme épiée semble préférer des cocktails bien tassés à sa moitié qu’il délaisse. Bref, les frustrations se rencontrent et c’est compliqué : à force de voyeurisme, séduction non-dite, étreintes forcées ou non, échangisme pas du tout consenti, la violence gagne ce quasi huis-clos cantonné dans quelques mètres carré pavillonaires

Propriété privée de Leslie Stevens, dont le titre fait référence à la maison comme à l’héroïne, égratigne à ce point le rêve (et le mâle) américain, avec des mots et des actes si crus, que ce petit film "indé", tourné dans la propre maison du réalisateur – avec sa propre femme, l’actrice Kate Manx, comme… appât – quitta vite les écrans au printemps 1960, pourchassé par la censure d’alors. Après une carrière honorable à travers le monde, il disparut corps et âme avant que l’on en retrouve miraculeusement une copie, récemment restaurée par les archives de l’Université de Californie (UCLA).

Qu’est-ce qu’on y voit en premier ? Le noir et blanc du vétéran Ted McCord, bien secondé – plus que secondé, imagine-t-on – par un opérateur appelé à devenir un immense directeur de la photo, Conrad Hall (plus tard : De sang froid, American Beauty). C’est lui qui signe les plans singuliers tournés dans l’eau de la piscine, quand les relations entre les personnages se sont gâtées… Mais on y distingue aussi cette frontière qui resta longtemps poreuse entre cinéma d’auteur indépendant et film d’horreur : bientôt George Romero fera d’une histoire de zombies une métaphore politique (anti-Vietnam) ; ici la psychanalyse sauvage des non-dits de l’Amérique prend des airs de petit polar crade et vénéneux. Façon La Dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972) ou Funny Games (Michael Haneke, 1997 et 2007).

Leslie Stevens, qui a 36 ans au moment du tournage, est déjà un vétéran de l’entertainment : il avait quinze ans quand il s’est incrusté au sein du Mercury Theater d’Orson Welles et John Houseman. Il leur a vendu une pièce, puis se fera un petit nom comme auteur dramatique, d’abord "off-" puis "on-" Broadway. Il est plus tard le scénariste du Gaucher d’Arthur Penn (1958, où abonde le sous-texte psy) et on se souvient aussi de lui comme le réalisateur d’un film aussi barré (mais moins abouti) que celui-ci : Incubus (1966), tourné en… esperanto.

Il fut surtout le créateur de la série Au-delà du réel (1963-65), intrusion inhabituelle (et souvent très réussie) du fantastique sur le petit écran – et également une satire en creux de l’Amérique en pleine croissance économique et folie consumériste. Propriété privée et son duo étrange (joué par Corey Allen et Warren Oates), comme sorti de nulle part (d’une autre planète, qui sait ?), ressemble souvent à la version longue d’un épisode de cet inventif feuilleton. À déguster avec étonnement…

 

Adrien Dufourquet

 

 


Propriété privée de Leslie Stevens (1960)
Mercredi 23 novembre à 21h et Mardi 29 novembre à 19h