KLAXON ET PROSTITUÉE
Parlons femmes: fanfarons et fanfaronnes chez Ettore Scola


Posté le 20.02.2017 à 11H


 

C’est un film où le klaxon fait signe et fait sens… On parle du signal sonore agressif et criard – mais, après tout, c’est sa fonction – de la décapotable de Vittorio Gassman, que celui-ci, n’ayant pu remettre les sièges en position assise après avoir tenté d’y coucher sa passagère, conduit alternativement le buste exagérément droit, empereur romain dans son char, ou le corps quasiment à l’horizontale, roi fainéant dans son lit mobile. Irrésistible ! Eh bien, ce klaxon, on le reconnaît immédiatement : c’est le même que celui, désormais mythique, du Fanfaron de Dino Risi (1962). Avec, toujours, Gassman au volant.

 

 

Au cœur de Parlons femmes (1964), le premier film comme réalisateur d’Ettore Scola, neuf sketches sur le désir – majoritairement masculin –, il y a donc cet appendice, ce bonus du Fanfaron : Gassman, toujours lui, trimbale dans Rome et ses environs la piquante Sylva Koscina à la recherche d’un lieu, garçonnière, hôtel, sous-bois, tout conviendra, pour faire l’amour. Mais rien ne va à la dame – jusqu’à ce que la dame, du coup, n’aille plus au monsieur… Ettore Scola avait écrit Le Fanfaron avec son mentor, le génial scénariste Ruggero Macari. C’est l’amitié de Vittorio Gassman (et celle du producteur Mario Cecchi Gori) qui lui permet, à 32 ans à peine, de filmer lui-même son nouveau scénario.

Ettore Scola le racontera plus tard : « [Ce] premier film me semble la poursuite d’un discours sur la femme commencé avec Antonio Pietrangeli [dont il a co-écrit plusieurs films] et qui continue à vivre à l’intérieur de cette œuvre de débutant. Ce n’était pas un film de pure évasion, il y avait là des personnages appartenant à différentes classes sociales, des humbles, des affligés. » Si le film parle des femmes, c’est surtout pour mettre au jour, à quelques exceptions près, le rapport d’ultra-soumission que toutes entretiennent avec les hommes, a fortiori quand ceux-ci ont la fatuité et la lâcheté des personnages masculins ici recensés.

Portrait du mâle italien, alors : Vittorio Gassman, cabot magnifique, est éblouissant de facilité et de transformisme. Il joue tour à tour un paysan à cheval, menaçant et dissimulateur, dans un premier sketch qui parodie l’esthétique du western spaghetti, un chiffonnier qui baragouine en patois face à une grande bourgeoise en mal d’amour, l’employé de bureau amateur de farces et attrapes qui devient un adulte autoritaire dans son propre foyer, un jeune homme coincé qui découvre les joies du twist aux côtés du Don Juan qui a suborné sa propre sœur…

Les histoires sont d’inégale longueur, elles permettent à Ettore Scola de se frotter à différents styles de mise en scène – un bon apprentissage. Le troisième sketch est peut-être celui qui va le plus loin en matière de cynisme tranquille : Gassman se rend chez une jolie prostituée (Giovanna Ralli, que Scola réemploiera dans Nous nous sommes tant aimés), découvre qu’elle est l’épouse d’un copain d’enfance perdu de vue, décide de l’attendre. Mais comment justifier auprès du mari sa présence dans l’appartement du couple ? À peine rhabillé, le client Gassman ira, comme nous, de surprises en surprises. Supporter par le rire la cruauté du monde : Ettore Scola entame avec Parlons femmes le travail d’une vie.

 

Adrien Dufourquet

 


Parlons femmes de Ettore Scola (1966)
Ciné-conférence animée par Fabrice Calzettoni
Jeudi 23 février à 14h30