MIKIO PAR AKIRA
Quand Kurosawa se mettait à quatre pattes devant Naruse…


Posté le 03.02.2017 à 11


 

Akira Kurosawa a 28 ans, il n’est pas encore cinéaste à part entière, il assiste les réalisateurs de la Toho. L’espace d’un film, il travaille sous les ordres de Mikio Naruse, qui n’était que de cinq ans son aîné. Il raconte cette collaboration avec précision et humour dans Comme une autobiographie (1) : séquence d’admiration d’un maître pour un autre maître et anecdote savoureuse. Morceau choisi.

 

Kurosawa Naruse« Ce qui m’a le plus impressionné, dans les expériences que j’ai faites en dehors de l’équipe de Kajiro Yamamoto [dont Kurosawa a été l’assistant sur une vingtaine de films, NdlR], ce sont les méthodes de travail de Naruse. Il possédait ce qu’on ne peut pas appeler autrement que du savoir-faire. Le film sur lequel je l’assistai (…) s’appelle Avalanche (1938), et il était fondé sur une histoire de Jiro Osaragi [écrivain populaire, auteur de romans historiques, NdlR]. Je crois que pour le réalisateur, cette histoire n’était pas un matériel complètement satisfaisant, mais il y avait là beaucoup de choses à glaner pour moi.

La méthode de Naruse consistait à procéder par plans très courts conçus selon le modèle de celui qui les précède, mais si vous les regardiez collés dans le film terminé, ils donnent l’impression d’une prise unique assez longue. Cela coule si bien que les collures sont invisibles. Ce flux de plans courts qui, au premier regard, ont l’air calme et ordinaire, se révèle ensuite être comme un fleuve profond avec une surface paisible, déguisant dans ses profondeurs des courants presque furieux. Incomparable était, dans cette technique, la sûreté de son métier.

Pendant le tournage, Naruse, était également très sûr. Dans tout ce qu’il faisait il n’y avait absolument aucun temps perdu et même le temps des repas était minuté. Mon seul regret, c’est qu’il faisait tout lui-même, laissant ses assistants assis autour à ne rien faire.

Un jour, je n’avais rien à faire sur le plateau, comme d’habitude. J’allai donc derrière une toile de fond, sur laquelle étaient peints des nuages, et je trouvai là un vaste rideau de velours que l’on utilisait pour faire les fonds de décor dans les scènes de nuit. Il était plié comme il faut, je me couchai dessus, et rapidement je sombrai dans le sommeil. Tout ce dont j’eus conscience après, c’est d’un technicien éclairagiste qui me donnait des bourrades pour me réveiller : « Dépêche-toi me dit-il, Naruse est fou de rage. »

Complètement paniqué, je me hâtai de sortir du studio par l’arrière, en passant par un trou de ventilation. Alors que je marchais à quatre pattes, j’entendis l’assistant éclairagiste s’écrier : « Il est derrière les nuages. » Comme je rentrais tranquillement dans le studio par la prote de devant, Naruse sortait justement. « Qu’est-ce qui ne va pas ? », lui demandai-je, et il me répondit : « Quelqu’un ronfle dans le studio. Ma journée de travail est fichue, je rentre chez moi. »  À ma grande honte, je fus incapable d’avouer que c’était moi le coupable. En fait, pour que je me décide à dire la vérité à Naruse, il fallut bien dix ans, et quand je lui racontai l’histoire, il la trouva très amusante. »

 

(1) Petite Bibliothèque Cahiers du cinéma, 1997. Traduction de Michel Chion.

 


Rétrospective Mikio Naruse
Jusqu'au 26 février