ALBERTO ET CLAUDIA
Anthropométrie d'une star


Posté le 05.05.2017 à 11H


 

1961 : Alberto Moravia a 53 ans, Claudia Cardinale trente de moins. C'est le magazine Esquire qui demande à l'auteur du Mépris d'interviewer cette très jeune actrice, déjà star. Pasolini, que connaît bien Moravia, a loué sa prestation dans Meurtre à l'italienne de Pietro Germi, d'après Carlo Emilio Gadda : « Une Claudia Cardinale que je me rappellerai encore pour un bon bout de temps. » Pendant l'interview, le duo n'est pas très à l'aise : Claudia Cardinale se souvient que Moravia tapait très vite, à la machine, ses questions et les réponses de l'actrice. Et que la machine à écrire ne cessait de tomber de son bureau... Dans la biographie qu'il consacre à l'écrivain, René de Ceccaty raconte : « Moravia part du principe paradoxal que les opinions de Claudia Cardinale la singularisent moins que son apparence, en tant qu'objet, car les opinions sont changeantes et peuvent être partagées avec d'autres : donc ne donnent pas une définition singulière d'un individu. » Suit un examen en détail du physique de la dame, que nul intervieweur n'oserait entreprendre aujourd'hui face à une comédienne presque débutante. Où l'auteur insiste sur l'enfance qu'a encore en elle la jeune actrice. Morceaux choisis (dans la traduction de René de Ceccaty, publiée chez Flammarion) ?

 

Moravia CardinaleAlberto Moravia : Ce petit grain de beauté que vous avez sur le cou est, parmi tant de choses incertaines, assurément l’une des moins incertaines. Donnez-moi vos mensurations : taille ?
Claudia Cardinale : 1m69

Plutôt grande, non ? Tour de taille ?
58.

Mince, mais sans excès. Tour de poitrine et tour de hanche ?
95.

Voilà des chiffres significatifs qui suffisent déjà à définir l’espace dans lequel se meut votre apparition. Dites moi comment sont vos cheveux ?
Châtain.

Châtain ? Avec des reflets roux, légèrement ondulés, de sorte qu’ils donnent une impression de vitalité et de mouvement. Quelle sorte de coiffures avez-vous eu dans votre vie ?
À 4 ans, je n’avais pas beaucoup de cheveux. Une boucle retenue dans un ruban. À six ans, on me faisait une tresse autour de ma tête avec deux macarons de part et d’autre de mon front. Puis je les ai portés en chignon. À 13 ans, je me faisais une queue de cheveal. À 15 ans, à la manière de Brigitte Bardot.

Les femmes passent toute leur vie à se masquer avec tout ce qui leur tombe sous la main. Et vos oreilles, comment sont-elles ?
Quand j’étais petite, elles me donnaient des complexes d’infériorité, parce qu’elles étaient un peu décollées. En chou-fleur, comme on dit. Vous vous imaginez que quand j’ai tourné dans Le Pigeon, on me les a plaquées ? Maintenant, je ne suis plus du tout complexée.

Elles sont bien dessinées, sans lobe. Peut-être un peu grandes. Mais c’est une bonne chose. Parce que de grandes oreilles, c’est un signe de longévité. En ce moment elles sont toutes rouges, pourquoi ?
Quand je m’anime, je parle, je discute, elles rougissent souvent.

Que pouvez-vous me dire de votre front ? Relevez votre frange et montrez-le moi.
Il n’est pas très haut. Il est un peu dur.

Oui, il a une expression têtue, volontaire. Et un peu enfantine. Un front d’écolière, studieuse, réfléchie. Venons-en aux yeux. Vos yeux sont noirs.
Non, ils sont d’un marron très sombre, mais très brillant, très lumineux. Ils ne sont pas si grands que ça. Ils sont plutôt enfoncés. Profond.

J’ajouterai qu’ils ont un blanc presque bleu. Comme celui des enfants. Maintenant, riez, s’il vous plait.
Oh, comment faire pour rire comme ça ? Sur commande…

Eh bien, vous voyez que vous riez. Et quand vous riez, vos yeux deviennent deux fentes noires étincelantes, avec quelque chose de gamin, de déchaîné, d’intense, de méridional. Qu’est-ce que vous savez faire encore avec vos yeux ?
Que voulez-vous dire ?

Quelles sont les expressions les plus importantes ?
J’en ai quatre : ils peuvent être coquins, ils peuvent être mauvais, ils peuvent être menteurs, ils peuvent être enfantins.

Si vous êtes physiquement troublée, ça se voit dans vos yeux ?
On me dit que je ne sais pas cacher mes sentiments.

Moravia Cardinale 1Vos yeux pleurent facilement ?
Il m’arrive de pleurer au cinéma, quand je vois un film.

Dans le noir par conséquent, et sans raison personnelle. Le nez, maintenant…
Il est droit, légèrement relevé et un peu épaté, là, au milieu, très étroit au niveau des narines, et il y a un sillon là, au-bout. De la naissance du nez partent mes sourcils, qui forment deux arcs très réguliers.

Sous ce nez légèrement relevé, se trouve une bouche aux coins imperceptiblement tombants comme celle de certains modèles de Michel-Ange. L’expression de cette bouche change en tout cas entièrement dès que vous riez. De dure et rustique qu’elle était, elle devient, elle devient comment… ?
Oh, je sais seulement ce qui apparaît sur mon visage quand je ris. Deux fossettes creusent mes joues. Ma lèvre se retrousse au point de toucher presque la pointe de mon nez. Et mon nez est tout ridée des deux côtés, je ne sais pourquoi.

Parce que c’est un rire très franc, très ouvert, irrésistible, enfantin. Dans lequel vous semblez exploser et vous défouler de votre timidité. Vous riez, dirait-on, pour communiquer, pour vaincre vos propres réticences. Comment est votre façon de marcher ?
On dit que je marche un peu comme un mannequin.

Qu’est-ce que cela signifie ?
Sans bouger les hanches, sans chalouper, toute droite, et immobile.

Quelle est, selon vous, la caractéristique de votre beauté ? Et avant tout, pensez-vous être belle ?
Je ne sais pas si je suis belle, je crois que je suis étrange.

 

 


Rétrospective Claudia Cardinale
Du 26 avril au 25 juin