MASCULIN-FÉMININ
Les enfants de Marx et de Coca-cola


Posté le 14.11.2016 à 13h


 

C’est quoi ce film ? Jean-Pierre Léaud déclame et, soyons honnête, on ne comprend pas tout ce qu’il raconte. Puis il milite contre la guerre du Viet-nam, peinturlure la voiture d’un officier américain – qui se balade avec François Hardy , drague Chantal Goya qui joue une apprentie-chanteuse yé-yé (tout sauf un rôle de composition), dort avec elle et Marlène Jobert – on se croirait dans Les Chansons d’amour de Christophe Honoré.

 

MASCULIN FEMININ 1965 02

 

Derrière les personnages, il y a Paris, la nuit, rive gauche côté métro aérien, des intérieurs dans des cafés, beaucoup de cafés : des petits troquets popu comme des grandes brasseries-usines. Archéologie des bistros parisiens, 1965… Et puis les bureaux d’un magazine, qui s’appelle Pariscope – on ne le cite pas dans le film. Cet hebdo petit format, guide des sorties parisiennes, voit le jour quand le film se tourne. Le numéro 1 comprend même un entretien avec Jean-Luc Godard, mais tiens, 61 ans plus tard, il vient juste de disparaître.

Masculin-féminin est très officiellement – c’est quelque part au générique – l’adaptation de deux nouvelles de Maupassant (Le Sourire et La Femme de Paul) ; mais ces deux trames, auxquelles Godard a réellement pensé, se sont évaporées au profit d’un drôle de récit charmeur et décousu.

« Je fais de moins en moins de scénarios explique Godard au Monde quand sort le film, en avril 1966, parce que ça ne m'intéresse plus de faire du spectacle. Pour moi, le film est ce qui se tourne de la même manière que la journée est ce qui se vit. En général, on a du cinéma une idée qui correspond au cinéma capitaliste hollywoodien, c'est-à-dire à un spectacle avec un début, un milieu, une fin, à ce que Robert Bresson appelle du théâtre. »

Alors, non, c’est à peine un récit : une chronique. Une enquête, peut-être, sur la jeunesse tiraillée entre engagement et hédonisme, alors que François Mitterrand, surprise, pousse au ballottage le Général de Gaulle – mais il s’incline au second tour, le 19 décembre 1965. Godard donne la clé, toujours au Monde :

« Pour parler à la manière des sociologues, j'ai essayé d'étudier la jeunesse du point de vue des "structures". J'ai procédé un peu de la même façon qu'un chercheur qui étudie des cellules, tente d'en isoler une et la regarde vivre. J'ai observé et je montre une jeune cellule où le garçon est une sorte de Werther au milieu des Rolling Stones. Moi, je suis un enfant de la décolonisation. Je n'ai plus aucun rapport avec mes aînés qui sont les enfants de la Libération ni avec mes cadets qui sont les "enfants de Marx et du Coca-cola". C'est le nom que je leur donne dans le film. Ils sont influencés par le socialisme  pris dans un sens économique très moderne et par la vie américaine. La lutte des classes n'est plus telle qu'on nous l'a apprise dans les livres. Autrefois "Mme Marx" ne pouvait pas être mariée avec "M. Coca-Cola", aujourd'hui on voit beaucoup de ménages comme ça…. »

Werther + Marx, c’est Léaud, Goya, c’est le soda américain. Avec le recul, l’engagement montré par le film laisse un peu songeur, Marx n’est plus très vaillant. Le Coca-cola a triomphé, lui. C’est peut-être ce que scelle ce beau film élégiaque et moqueur, objet "pop" lui-même, coiffures et habits de l’époque saisis par le noir et blanc gracieux du chef-op Willy Kurant. Une cure de jouvence. Un adieu au vieux monde.

 

 

Adrien Dufourquet

 


Masculin-féminin de Jean-Luc Godard (1966)
Vendredi 18 novembre à 19h et dimanche 20 à 17h30