CRÊPAGE DE CHIGNON ET MALENTENDUS
Mariage incognito : un film-charnière dans le parcours de George Stevens


Posté le 24.02.2017 à 11H


 

C'est le clou de cette comédie légère que George Stevens prit suffisamment au sérieux pour faire exister des personnages improbables – au point qu'il reçut à l'occasion sa première mention, prestigieuse à Hollywood, de producteur. Donc, au cœur d'une réception chic de sages universitaires de la Nouvelle-Angleterre, deux femmes qui se crêpent le chignon, au sens littéral puisque gifles et tirages de cheveux sont autorisés.

 

 

La brune, c'est Frances Mercer, mannequin devenue actrice pour une courte carrière, et la blonde, qui lui a piqué son fiancé, c'est Ginger Rogers, qui joue avec la gouaille requise une chanteuse de cabaret. Voilà : une chanteuse de cabaret, ça fait désordre dans cette haute société bien coincée. Mais en même temps ça pimente, excite, réveille les vies endormies, ce qu'on verra dans un dénouement assez touchant... Même sa furia batailleuse semble impressionner favorablement le patriarche sévère de la communauté. La plus piquante finira piquée est la scène est représentative de la vivacité des héroïnes de la comédie américaine d'alors. D'ailleurs, le titre original de Mariage incognito est Vivacious Lady...

Intrigue simple et efficace : professeur de botanique, pas innocent côté reproduction... des plantes, James Stewart, grand corps de benêt savant (comme la comédie hollywoodienne en raffole : Cary Grant dans L'Impossible Monsieur Bébé, Gary Cooper dans Boule de feu) flashe un soir à New York sur la blonde au franc-parler. Une nuit à marcher dans la ville et les voilà mariés. Mais comment l'enseignant expliquera-t-il la chose à son père, doyen de l'université ? Cette question unique, à la réponse sans cesse repoussée – James Stewart est toujours trop godiche pour prendre la parole au bon moment  est à peu près l'unique objet du film.

Mais c'est justement l'art du cinéaste d'y croire assez pour que ça marche quand même. Le film est commencé au printemps 1937, alors que le script demande encore à être peaufiné, puis arrêté parce que James Stewart tombe malade. Et pendant la pause de neuf mois, qui excède même la guérison du comédien, Stevens a le temps de tourner deux films : Quality Street, un drame XIXe siècle avec Katharine Hepburn, et la comédie musicale Demoiselle en détresse. Glorieuse époque où les films s’enchaînent à très grande vitesse...

Stevens a aussi eu le temps de demander à son ami écrivain Irwin Shaw de peaufiner le scénario, en insistant, dixit le cinéaste, « sur la frustration amusante de la non-communication ». De fait, les malentendus s'amoncellent, alors qu'il suffirait que chacun se démasque pour que la situation se clarifie. La presse et le public apprécient : grand succès de la RKO, Mariage incognito met George Stevens en position favorable.

Pas suffisamment pour le projet qui lui tient le plus à cœur, regret qu'il gardera toujours : adapter le roman de Humphrey Cobb, Les Sentiers de la gloire – c'est Kubrick qui s'en chargera plus tard. Mais au point qu'on lui propose, en lieu et place d'Howard Hawks, le récit d'aventures Gunga Din. Sur ce film-là, Stevens, cinéaste rapide et pas cher, deviendra nettement plus coûteux, adoptant sa célèbre méthode de tourner chaque scène sous tous les angles possibles... Le voilà pleinement maître de son art.

 

Adrien Dufourquet

 

 

 


Mariage incognito de George Stevens (1938)
Jeudi 23 février à 19h et samedi 25 à 18h30