MARIAGE À L'ITALIENNE
Back street à Napoli


Posté le 28.11.2016 à 11H


 

« Nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Nous tombâmes tout de suite amoureux l’un de l’autre. Cinématographiquement bien entendu. (…) Nous nous sentions bien ensemble, Marcello et moi. Quel couple ! Simple, beau vrai. Plus âgé que moi de dix ans, et beaucoup plus désinvolte, Marcello arrivait sur le plateau délicieusement décontracté, alors que moi je m’appliquais comme une bonne élève par peur de me tromper et d’être ridicule, tandis que lui, il travaillait à la dernière minute. » C’est "la" Loren qui parle de "son" Marcello dans son autobiographie, citée dans Marcello Mastroianni de Jean A. Gili (Editions de la Martinière).

 

MARIAGE A L ITALIENNE 1964 05

 

Sophia Loren et Marcello Mastroianni tourneront effectivement une douzaine de films ensemble, dont l’excellent Mariage à l’italienne, réalisé par Vittorio de Sica en 1964. Une idée de Carlo Ponti, producteur et mari de la dame, pour capitaliser sur le succès de la comédie précédente, Hier, aujourd’hui et demain. Un film pourtant accueilli avec des pincettes par la critique française de l’époque : tiré de la pièce Filumena Marturano d’Eduardo de Filippo, prince de la comédie napolitaine, cette tragicomédie est vue comme une "pagnolade", pleine d’un folklore destiné à l’exportation – de fait, Sophia Loren et le film furent nommés aux Oscars (mais pas la même année, allez comprendre…).

« L'interprétation est de celles qui attirent les foules » renchérit en faisant la moue Jean de Baroncelli dans Le Monde du 6 janvier 1965 – c’est vrai que d’habitude on choisit les comédiens pour repousser le public… Il ajoute tout de même, bon prince : « Marcello Mastroianni joue paresseusement et négligemment un rôle médiocre de faire-valoir. Tout en effet est pour Sophia Loren. On la voit à dix-sept ans, on la voit à quarante. Fille de " maison " bourgeoise aigrie, mère radieuse ; chatte, lionne, tigresse ; pleurant, hurlant, vociférant. Et toujours aussi belle. Sa performance de monstre sacré, Sophia Loren l'accomplit avec sincérité et talent. »

Tout sauf paresseux, tout sauf négligent – ou ayant fait de ces défauts des qualités –, Marcello Mastroianni est dans Mariage à l’italienne sublime de détachement, puis d’embarras sincère, puis pris d’une panique tardive. Il passe beaucoup de temps à changer de costume, toujours irrésistible, toujours tiré à quatre épingles. Et à regarder Sophia Loren en action. C’est l’élégance suprême d’un acteur qui attirait les regards pour les détourner sur ses partenaires.

Il joue un grand-bourgeois napolitain, propriétaire d’une patisserie – mais pas que, probablement : argent de famille, "combinazione", on ne sait pas trop. Il a rencontré Filumena, jeune putain ingénue dans un bordel de la ville, le soir d’une alerte à la bombe, à la fin de la guerre. Il l’a installée chez lui, sans dire qui elle est à sa vieille "mamma" momifiée. Elle est une "régulière" qu’il cache sans la "régulariser", puisque Marcello volage court les conquêtes. Et elle veut plus, prête à tous les stratagèmes…

Non, ce n’est pas du folklore : Mariage à l’italienne est la version d’Europe du Sud de Back street, le fameux roman de Fanny Hurst plusieurs fois adapté par Hollywood, la vie dans l’ombre d’une femme entretenue – et négligée. Mais c’est une version beaucoup plus sobre, beaucoup plus émouvante, beaucoup plus authentique que la couleur locale napolitaine pourrait le laisser penser : l’amour qui se tait et qui se révèle, l’égoïsme et les préjugés sociaux qui le combattent, les secrets du couple (Strindberg n’est pas si loin) sont au cœur d’un film à la fois drôle et dramatique. Au-delà des mots – les acteurs s’en donnent à cœur joie pour prendre l’accent du sud – au-delà de leur aspect extérieur – séduction, tenues changeantes et vieillissement les comédiens sont ici nos amis ou nos doubles. Ils racontent la vie telle qu’elle est, à Naples comme partout.

 

Adrien Dufourquet

 


Mariage à l'italienne de Vittorio De Sica (1964, 1h44)
Jeudi 1er décembre à 20h30 en présence de Jean A. Gili
Dimanche 4 décembre à 16h30 et dimanche 11 à 14h30