HOLLYWOOD AU MIROIR
Sur 4 films... qui n'existent pas


Posté le 06.12.2016 à 11H


 

C’est l’un des plus grands films sur Hollywood. L'un des plus réalistes et donc l’un des plus cruels… Dans Les Ensorcelés (1952), un producteur ruiné, joué par Kirk Douglas, essaye de se rabibocher tardivement avec les trois "talents"  un cinéaste, une actrice, un scénariste – qu’il a révélés puis trahis. Tendront-ils la main à leur ex-mentor aujourd’hui dans la mouise ? Découpé en trois chapitres, qui racontent chacun l’ascension de Jonathan Shields, jusqu’à devenir un "nabab" lauréat de plusieurs Oscars, et la trahison commise pour s’élever encore davantage, le récit abrite ce qui fait la joie des cinéphiles : quatre "films dans le film" qui sont de pures fictions, mais pourraient avoir à voir avec des œuvres ayant réellement vu le jour…

 

Doom of the cat-men de Fred Amiel
(littéralement : La Tragédie des hommes-chats)

Pas d’images de cette série B fantastique, sinon celle des essayages de costumes miteux par des figurants peu concernés. La trouvaille du producteur Jonathan Shields est alors d’imaginer qu’il vaut mieux suggérer l’horreur que la montrer minablement, si l‘on veut vraiment offrir au spectateur la dose de trouille attendue. Le personnage évoque évidemment Val Lewton, qui produisit dans les annés 40, selon le même principe, La Féline (Cat people) de Jacques Tourneur (1942) et quelques chefs-d’œuvre du même auteur.... Contrairement à Val Lewton, Shields n’accepte pas que le producteur Harry Pebbel (Walter Pidgeon) le cantonne à une suite, il rêve désormais de films plus prestigieux. Lewton, lui, confia au monteur Robert Wise La Malédiction des hommes-chats (1944)…

 

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The Faraway mount de Von Ellstein
(littéralement : La Montagne au loin)

Première trahison : adapter ce classique (imaginaire) de la littérature américaine est le projet de longue date du réalisateur Fred Amiel (Barry Sullivan). Mais pour obtenir le feu vert du studio, Jonathan Shields est prêt à sacrifier son ami cinéaste, au profit du dénommé Von Ellstein (pas de prénom connu), qui pourrait avoir des airs de Josef Von Sternberg. Pas d’image du tournage non plus, mais le bout d’essai des premiers rôles mexicains avant que l’on ne parvienne à convaincre la star Victor "Gaucho" Ribera (Gilbert Roland). Ce grand roman réputé inadaptable, avec des scènes au Mexique – un peu pompeuses , pourrait faire penser à une oeuvre de Theodore Dreiser (d’autant que Sternberg adapta Une tragédie américaine).

 

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Film sans titre de Henry Whitfield

Curieusement, on ne sait jamais le titre de ce grand film historique dont Jonathan Shields, seul contre tous, offre le rôle principal, sexy et lacrymal, à Georgia Lorrison (Lana Turner). Cette fille d’un grand acteur, un peu trop portée sur la boisson, et cantonnée jusque là à jouer les figurantes, aura-t-elle la carrure du personnage ? Ce qu’on saisit de l’histoire donne à penser qu’on est quelque part en Europe centrale, avec des excès révolutionnaires – bien que le héros soit Mexicain. Allez comprendre... Le cinéaste Henry Whitfield, joué par Leo G. Carroll, aurait des faux airs d’Alfred Hitchcock, d’autant qu’il est accompagné d’une collaboratrice ayant son avis sur tout – comme Madame Hitchcock dans la vraie vie. Production de prestige, un peu empesée, semble-t-il...

 

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The Proud Land de Von Ellstein et Jonathan Shields 
(littéralement : La Terre orgueilleuse)

Le modèle le plus plausible pour le personnage incarné par Kirk Douglas est, après Val Lewton, le producteur David O. Selznick. Ce Proud Land est alors son Autant en emporte le vent : une épopée située dans le "Sud profond". Même si Margaret Mitchell est remplacée par un homme, l’écrivain et prof d’université James Lee Bartlow (Dick Powell)... Comme Selznick, Shields intervient à toutes les étapes, du scénario, écrit à quatre mains, à la mise en scène, dont il dessaisit en cours de tournage notre ami Von Ellstein (voir film n°2). Mais le producteur surdoué a-t-il les épaules pour mettre en scène un film de cette envergure ? Non, décidément, Hollywood n’est pas un jardin de roses…

 

Adrien Dufourquet

 

 


Les Ensorcelés de Vincent Minnelli (1952)
Samedi 10 décembre à 18h45 et dimanche 11 à 16h30