LE WESTERN PRÉFÉRÉ DE WOODY ALLEN
Quand la guerre s'invite dans l'Ouest


Posté le 07.02.2017 à 11H


 

George Stevens l'a dit et répété : L'Homme des vallées perdues est son film de guerre. On sait qu'en 1944 le cinéaste s'est enrôlé pour suivre, caméra au poing, l'avancée des troupes américaines en Europe, qu'il a fait partie de ceux qui ont libéré le camp de concentration de Dachau, souvenir qui modifiera à jamais son rapport à la vie et au cinéma. D'autres cinéastes ayant participé à "l'effort de guerre" – John Ford en particulier  réaliseront des films sur le conflit mondial. Stevens, non. Jusqu'en 1953, jusqu'à Shane  puisque le titre original du film se résume au patronyme du personnage joué par Alan Ladd. Un pur western, mais "son" film de guerre.

 

Poster Shane 02

 

Pour Stevens, la nouvelle de Jack Schaefer, qu'il a fait adapter par son ami A. B. Guthrie – l'auteur du roman dont est tiré La Captive aux yeux clairs de Hawks est un parfait manifeste pour rappeler l'horreur et la nécessité de la violence. Un homme surgi de nulle part s'invite dans une famille de fermiers. Il défait sa ceinture, pose son pistolet, participe aux travaux des champs, mais saura reprendre son arme quand la communauté est menacée par un riche propriétaire de bétail. Celui-ci ne supporte plus que les champs soient fermés par des barbelés, que les terres qu'il a été l'un des premiers à fouler soient aujourd'hui découpées en parcelles et cultivées. Alors Shane, tel un samouraï sans maître, aidera ses nouveaux amis et fera parler la poudre.

C'est un récit simple que Stevens sait à la fois rendre réaliste et mythologique : l'histoire d'un règlement de comptes entre une poignée d'immigrants et ceux qui étaient là avant  mais qui n'ont aucun droit sur la terre. Mais aussi l'histoire d'une nation sur le chemin du progrès : quand la loi règnera sur cette société, ni Shane, ni Wilson, son adversaire le plus redoutable, ni Ryker, le commanditaire du tueur, n'y auront leur place. Tous ont conscience qu'une page se tourne...

George Stevens voulait montrer qu'un colt est une arme puissante : quand Jack Palance, dans son premier grand rôle, abat le paysan joué par Elisha Cook Jr, la détonation projette le corps vers l'arrière, le propulse dans la boue  Stevens et son équipe avaient imaginé un système de poulies pour exagérer le geste de la victime, doublé le coup de feu d'un mini coup de canon. La guerre entre les hommes, ce n'est pas de la rigolade.

L'Homme des vallées perdues est un miracle d'équilibre et de sous-entendus, de pistes ouvertes par le récit et sciemment laissées en jachère : l'histoire d'amour non-dite  entre Jean Arthur, fidèle femme de fermier et l'étranger au si doux visage ; le drôle de physique d'Alan Ladd, sa petite taille, son brushing impeccable, qui en font un gunfighter singulier, comme un ange enfantin (Stevens avait longtemps pensé à Montgomery Clift pour le rôle) ; le regard de l'enfant fasciné lui aussi par ce séduisant visiteur, comme le frère qu'il n'a jamais eu ; la communauté de fermiers, tellement posée au milieu de nulle part (Stevens utilise magnifiquement les paysages en arrière-plan) qu'on pourrait croire une poignée de survivants après la fin du monde.

En 2001, le New York Times proposait à des cinéastes de choisir et de commenter un titre phare du cinéma américain. Woody Allen, tout en avouant paradoxalement ne pas être très passionné par les westerns, choisissait L'Homme des vallées perdues. « Dans Le Train sifflera trois fois, expliquait le réalisateur de Manhattan, le message est trop évident. Dans L'Homme des vallées perdues, peut-être parce que George Stevens est un poète à sa façon, infuse une forme de poésie qu'on ne trouve pas ailleurs. Le Train sifflera trois fois est un film bien fait, L'Homme des vallées perdues est un poème. » Si Woody le dit...

 

Adrien Dufourquet

 


L'Homme des vallées perdues de George Stevens (1952)
Jeudi 9 février à 18h45, samedi 11 à 20h45 et dimanche 19 à 14h30