LE GÉNIE DERRIÈRE DEMOISELLE EN DÉTRESSE
Pourquoi Hermes Pan était un dieu de la comédie musicale...


Posté le 16.02.2017 à 11H


 

Hermes Pan, quel patronyme ! Le type s'appelait en fait Hermes Panagiotopoulos, ce qui est moins commode, et il était le fils du consul de Grèce à Memphis, Tennessee. Il a 24 ans quand il rencontre Fred Astaire sur le tournage du film Carioca, lui suggère trois-quatre pas, une figure de danse : il deviendra son chorégraphe attitré, sa boîte à idées, son partenaire de répétition – et aussi celui de Ginger Rogers. Dans Demoiselle en détresse (1937), la deuxième comédie musicale réalisée par George Stevens, Hermes Pan fait preuve d'une sacrée imagination : il doit inventer de toutes pièces des scènes dansées  un peu plaquées sur une comédie romantique qui, à l'origine, n'était pas musicale du tout ; il doit aussi résoudre une équation compliquée : faire danser une héroïne qui n'est pas spécialement douée pour ça...

 

1/ La fête foraine

 

 

C'est l'une des scènes les plus connues du film. On ne sait pas trop comment Fred Astaire, flanqué d'un duo comique et dansant (le couple formé à l'écran comme à la ville par George Burns et Gracie Allen) se retrouve, en quittant le château anglais de Lord Marshmorton, dans une fête foraine – soigneusement reconstruite dans un studio d'Hollywood. Mais il y a des tapis roulants et des toboggans, plein de visiteurs prêts à chanter avec nos héros et, cerise sur le gâteau, des glaces déformantes.

Le trio en fait le tour, "dansotant" face aux miroirs, les corps se tassent ou s'étirent, les visages s'estompent, les danseurs finissent par n'être plus que des jambes  et même deux paires par personne. Ils sont strictement réduits à leur fonction chorégraphique, de simples membres qui s'agitent, presque mécaniquement. Une "mise à nu" du musical hollywoodien (bien avant La La Land) qui rejoint les recherches expressionnistes des cinéastes expérimentaux d'alors, de Man Ray à Maya Deren. Au coeur d'un film de série, cette séquence étonne. Bravo, Hermes !

 

2/ La fille qui ne savait pas danser

 

 

Fred Astaire rêvait d'une comédie musicale sans Ginger Rogers. OK, lui dit-on à la RKO. On lui donne comme partenaire la toute jeune Joan Fontaine, 20 ans. Problème, elle n'est ni danseuse, ni chanteuse... « Freddie [Astaire] sans Ginger [Rogers], c'est comme Laurel sans Hardy » racontera plus tard George Stevens. Au bout de quelques jours de tournage, les producteurs suggèrent de changer d'actrice, mais le cinéaste refuse : « Si nous renvoyons cette fille du film, elle se tuera... » argue-t-il.

Alors, Hermes Pan et George Stevens imaginent une sorte de danse-promenade ou Astaire et Fontaine partagent leur amour dans les bois, atmosphère romantique, chorégraphie minimale. Le cinéaste choisit de cadrer la chose d'assez loin – et tant mieux si des arbres, une clôture, ou son partenaire lui-même cache les pas hésitants de Joan Fontaine ! L'actrice a longtemps plaisanté (jaune) sur le film et cette séquence qui auraient retardé son éclosion de plusieurs années... Mais sa sincérité et sa beauté sont aussi un heureux contrepoint à l'artifice des chants et danses. Bravo Joan, bravo Hermes !

 

Adrien Dufourquet

 

 


Demoiselle en détresse de George Stevens (1937)
Mercredi 15 février à 19h et samedi 18 à 16h30