FILM MENTAL
Dans les cerveaux de David Lynch et Laura Palmer


Posté le 30.05.2017 à 11H


 Lynch

 

Ces premières images sont, au fond, aussi surréalistes que le film lui-même : sur un fond bleu bizarre – qui s’avèrera ensuite être la neige d’un poste de télé allumé , trois mots, « Francis Bouygues présente », suivis de quatre autres, « Un film de David Lynch ». Choc de cultures ! Très vite, l’écran de télé est éventré à la hache : ce Twin Peaks-là n’est pas pour le petit écran. Il brille, rougeoie et tonitrue, un soir de mai 1992, dans la grande salle du Festival de Cannes, et c’est bien un pur film de cinéma, lynchien jusqu'au bout des bobines le numérique n'a pas encore triomphé  qu'a financé le roi du béton et proprio de TF1, Francis Bouygues.

Le self made man du BTP trône alors aux commandes de CiBy 2000, société de production aujourd’hui disparue, qui s'offre la crème des auteurs d’alors : Jane Campion (la palme pour La Leçon de Piano), Pedro Almodovar (La Fleur de mon secret) et donc David Lynch. Il signe pour trois films, n'en fera que deux – le second est Lost highway. À 46 ans, il est au sommet de sa créativité : il a gagné la Palme d'or deux ans plus tôt, avec Sailor et Lula, puis s'est engagé dans l'aventure Twin Peaks. Il est sorti, dit-on, frustré de la deuxième saison  en tout, il n'a réalisé lui-même que six épisodes sur les trente tournés , alors il concocte la version cinéma en forme de "prequel".

Avant la mort de Laura Palmer, qui ouvre la série, il y aura donc les derniers jours de la blonde mystérieuse : une lycéenne comme toutes les lycénnes, sauf qu'elle est très portée sur le sexe et la drogue, et très très torturée par des démons intérieurs. Le film est incroyable. Il commence comme une sitcom policière au casting de rêve : Chris Isaak, Kiefer Sutherland et David Lynch lui-même, affublé d'un sonotone, devisent quand surgit David Bowie. Et puis il bifurque, direction la bourgade de Twin Peaks, accumule les références et clins d'œil que ne peuvent décoder que les fans de la série, devient une merveille de fleur vénéneuse, mystérieuse, peinture d'une psyché de jeune fille horriblement abîmée. Le sommet : une séquence fascinante de boite de nuit, à la musique lancinante  signée Angelo Badalamenti  aux dialogues chuchotés, où les corps s'empilent. Où triomphe la sensualité presque innocente de Sheryl Lee, la blonde, et de Moira Kelly, la brune. Le film accumule les images mentales. Il en est lui-même une : comme la matérialisation du "ça", cette partie de nous-mêmes que notre surmoi aide à masquer. C'est vertigineux.

Parce qu'il est inégal et foutraque  5h, puis 3h40 de montage réduits à 2h09 ! , Twin Peaks, les 7 derniers jours de Laura Palmer est hué à la fin de sa projection cannoise et mis illico aux oubliettes de l'histoire. Le "timing" ne pouvait pas être meilleur pour le revoir alors que le Festival de Cannes et Canal + font honneur à la saison 3 des mésaventures macabres de Laura Palmer, David Lynch signant tous les épisodes. Comme pour Star Wars, il y a plusieurs écoles : faut-il voir Twin Peaks l'œuvre complète par ordre chronologique des sorties ou du récit ? Commencer par le film reste tout de même une sacrée introduction à l'univers : un périple en train fantôme dans l'esprit d'un créateur à nul autre pareil.

 

Adrien Dufourquet

 


Twin Peaks - Fire Walk with Me de David Lynch (1992)
Samedi 3 juin à 20h30, dimanche 4 à 18h et lundi 5 à 20h à l'Institut Lumière

Samedi 17 juin à 22h30 au Lumière Terreaux