COMÉDIE À L'ITALIENNE
Sordi et les quatres mots qui fâchent


Posté le 04.01.2017 à 10h


 

Ce sont quatre petites répliques, une mère qui apprend à son fils qu’il vaut mieux s’habituer à l’injustice quand on est enfant, parce qu’après, c’est plus compliqué. Ok, circonstance aggravante, le dialogue a lieu dans un tribunal, alors qu’un citoyen presque honnête (Alberto Sordi) ment éhontément, revient sur sa déposition, pour innocenter un maire coupable d’excès de vitesse, entre autres (Vittorio de Sica). Si la censure de l’époque n’a rien contre le mensonge et l’injustice, en revanche ces quatre phrases échangées par la mère et l’enfant, non, ce n’est pas audible dans l’Italie de 1960. Tenez, dit le fonctionnaire forcément démocrate chrétien au réalisateur du Vigile, le communiste Luigi Zampa, en lui tendant une paire de ciseaux. Quatre images en moins, qu’est-ce que ça sera ?

 

« Comme communiste, Luigi Zampa n’était pas très actif », racontera plus tard le scénariste Rodolfo Sonego (1921-2000), alter ego essentiel de l’immense star qu’est alors Alberto Sordi, son dialoguiste attitré, son dramaturge. « Non, Zampa n’était pas très communiste. C’était plus un sympathisant… » Alors, Zampa s’exécuta, sans doute déjà parti sur un autre projet – d’ailleurs une bonne partie du Vigile, tourné à toute allure au printemps 1960, avait été réalisé par son assistant, Paolo Bianchini… Les images ne furent réintroduites dans le film qu’à la faveur de sa restauration en 2004 par la Cinémathèque de Bologne.

 


 

Sans se cacher (ou en tout cas en l’avouant sur le tard), Sonego avait ici recyclé un dialogue utilisé par Charles Spaak dans La Pensionnaire, d’Alberto Lattuada, avec Martine Carol (1954). Le scénariste belge (La Belle équipe, etc.) était venu à la rescousse fignoler le scénario, écrivait à la main ses corrections – et ses idées de répliques qui font mouche – sur des bouts de papier que, visiblement, Sonego avait choisi de conserver. Tel était le cinéma italien de l’époque : une armada de scénaristes collaboraient dans un grand élan créatif – pasta à l’appui – et l’inspiration circulait de film en film…

La comédie « à l’italienne » - comme on disait depuis la France – n’était pas que caricature et distorsion comique du réel. En l’occurrence, l’intrigue au coeur du Vigile avait été tirée de la vie quotidienne romaine : en juillet 1959, un agent de police du nom d’Ignazio Melone avait verbalisé via del Tritone un automobiliste ne respectant pas le code de la route. Il s’agissait, hélas pour l’agent, d’un fonctionnaire haut placé à la Mairie de Rome, Carmelo Marzano, qui avait dû baisser sa vitre avec cette formule chère aux puissants : « Vous ne savez pas qui je suis… » Les journaux s’étaient emparés du mini-scandale, la presse communiste prenant fait et cause pour le policier intimidé par le notable, la presse de droite révélant que la sœur du Signor Melone vivait de ses charmes à Milan et accusant le malheureux de proxénétisme – Il Vigile ne reprend qu’une partie de la chose…

Alberto Sordi est évidemment l’attraction principale du film (avec l’onorevole Vittorio de Sica en séducteur) : il est génial en flemmard professionnel, adepte du piston, au bord de devenir le leader d’un mouvement populiste – vestige de cet authentique parti de « l’homme quelconque » qui chercha à s’inviter dans la vie politique italienne au lendemain de la guerre. Du « qualunquismo » au mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, il n’y a peut-être qu’un pas, preuve qu’Alberto Sordi est éternel, et que son incarnation de l’Italien moyen – enfin d’un certain Italien moyen – vaut toujours, merci !

 

Adrien Dufourquet

 


Il vigile/ L’Agent de Luigi Zampa    
Me 4/01 à 19h - Sa 7/01 à 14h30 - Ma 10/01 à 19h

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