QUAND LA COMÉDIE ÉTAIT POLITIQUE
Au nom du peuple italien : petit juge et industriel magouilleur


Posté le 02.03.2017 à 11H


 

Parfois, il s'agit d'une voyelle pour que la perception d'un cinéaste change. Je m'explique : Rosi (prénom Francesco) égale, pour tous, cinéma engagé, chronique politique, vision historique de l'Italie; Risi (prénom Dino) égale "comédie à l'italienne", caricature et expressionnisme, satire certes drolatique mais moins capitale. Seulement, au cinéma comme ailleurs, les choses ne sont jamais aussi simples : d'une intelligence et d'une lucidité exceptionnelles, Dino Risi avait choisi de faire rire, mais ses films en disent tout autant de son pays et de ses habitants.

 

Au Nom Du Peuple Italien05

 

Au nom du peuple italien, qui sortit d'abord en France sous le titre Le Petit Juge – pour faire Boisset, sans doute  est justement l'un de ses films les plus engagés. Il profite, à l'époque, de la popularité du cinéma politique italien. « C'était une nouveauté qui avait beaucoup de succès auprès des spectateurs explique Dino Risi à Jean Gili (dans Le Cinéma italien). Même les films qu'a faits Elio Petri arrivaient au public portés par le véhicule d'un certain agrément et même d'un certain comique : Gian-Maria Volonté a fait le succès de ces films et les a rendus très accessibles parce qu'il a mis sa vertu comique dans la caractérisation des personnages. »

Voilà donc un film à la fois opportuniste et militant  ça existe !  sur un scénario des compères Age et Scarpelli  à l'état-civil, Agenore Incrocci et Furio Scarpelli. L'histoire édifiante d'un juge inflexible, joué par Ugo Tognazzi, qui poursuit un industriel forcément fanfaron, puisqu'il est joué par Vittorio Gassman. La justice aveugle contre le grand Capital, soupçonné de meurtre et forcément convaincu de tout un tas d'autres malversations... L'affrontement des deux personnages est savoureux, à l'image d'une scène célèbre et irrésistible, où Gassman, convoqué d'urgence, débarque d'une fête costumée déguisé en empereur romain. Allez mettre un empereur en examen...

Mais la question morale est plus complexe qu'elle n'en a l'air : aucun des deux personnage, ni l'acharné du droit, ni le nouveau riche qui se croit au-dessus des lois, n'est tout à fait sympathique, ni tout à fait vertueux.... Au nom du peuple italien est prophétique, parce qu'universel : le magistrat joué par Tognazzi préfigure l'opération "mains propres" menée, vingt ans plus tard, par des juges intègres, grande lessive qui contribua au renouvellement de la classe politique italienne ; et l'homme d'affaires qu'incarne avec une extrême fantaisie Gassman ne manque pas d'airs pré-Berlusconiens.

Le titre est fort : c'est "au nom du peuple italien" qu'agit le juge, mais le peuple, on le voit justement, un soir de match de foot Italie-Angleterre, devenir xénophobe et violent, ou, comme l'a très bien dit le critique italien Lino Micciche, pris d'une « attaque de fascisme sportif ». Le peuple : c'est en son nom, et pour le protéger, qu'on essaye d'appliquer les lois ; mais c'est lui qu'on invoque dès que l'on veut passer au-dessus.. Tiens, voilà un film de Dino Risi qui résonne même avec la France d'aujourd'hui...

 

Adrien Dufourquet

 

 


Au nom du peuple italien (1971)
Mercredi 1er mars à 21h, dimanche 5 à 14h30 et mardi 7 à 19h